Aude de Thuin, fondatrice du Women’s Forum, nous offre un tour d’horizon très bien documenté sur la situation des femmes dans le monde actuel. Quel rôle joue l’éducation dans l’émancipation des femmes ? Comment concilier vie professionnelle et vie familiale ? Pourquoi a-t-on besoin de femmes dans les sphères économique et politique ? La crise est-elle une chance pour la gent féminine ? Autant de questions auxquelles Aude de Thuin répond en s’appuyant sur des études récentes qui prouvent que le mixité est à la fois un facteur de progrès et une nécessité pour l’avenir.
Cette femme à la fibre entrepreneuse s’appuie aussi sur son histoire et son expérience pour mettre en évidence les obstacles conscients ou inconscients qui maintiennent les femmes dans l’ombre : manque de confiance en soi, contraintes familiales, « plafond de verre »… Mais loin de tomber dans le défaitisme, Aude de Thuin nous donne des conseils pour s’affirmer, entreprendre et nous invite plus que tout à oser. Un livre optimiste qui donne envie de faire entendre sa voix.
Une entrepreneuse née
Née en 1950, Aude de Thuin garde de son enfance un souvenir douloureux. Elle qui se décrit comme « très grande, roux carotte, curieuse de tout et dotée d’une énergie créative débordante » est très tôt considérée par sa mère comme le canard boiteux, la « Calamity Jane » de la famille. Cette dernière dénuée de tout sentiment maternel l’envoie chez sa tante à Paris ; pour la jeune fille de 17 ans, c’est une bouffée d’air ! Elle cherche du travail et découvre alors la psychanalyse en devenant standardiste dans un centre médico-psychopédagogique où Françoise Dolto consultait. Elle commence des études de psychologie. A la même époque, elle fait la connaissance de Paco Rabanne et devient mannequin, ce qui l’aide à retrouver confiance en soi. Puis elle rencontre son premier mari, Raoul de Thuin, de vingt-cinq ans son aîné. Elle a vingt-deux ans, elle l’épouse. Sa fille, Aurore, naît un an plus tard. Ils s’installent en Bourgogne et fondent un journal gratuit, Promo Bourgogne.
Séparée de son mari, Aude de Thuin revient à paris et cherche du travail : « JF autodidacte, ayant eu une entreprise de presse et sachant faire beaucoup de choses, cherche travail. » Elle reçoit une réponse d’un éditeur versaillais spécialisé dans les annuaires professionnels. Pressentant l’essor de la publicité directe, elle crée en 1981 le Salon du marketing direct ; le succès est immédiat. Elle revend au début des années 90. Via ce Salon, elle rencontre son deuxième mari, Hubert Zieseniss. S’inspirant du Chelsea Flower Show de Londres, ils lancent, en 1992, l’Art du Jardin, un salon annuel qui présente 15 à 25 jardins à thèmes. Elle crée en parallèle le Salon Création et Savoir-Faire, devenu par la suite Loisirs et Créations, destiné aux femmes. Réalisant que, pour réussir, les salons doivent correspondre à une tendance sociologique lourde, elle crée en 1999 L’Art du Mieux-Etre. Face à des difficultés de trésorerie, elle finit par céder 50% de sa société à deux groupes, Lagardère et Comexpo, puis finit par vendre les 50% restants.
Le Women’s Forum
C’est à cette période qu’elle souhaite assister au World Economic Forum de Davos. Elle ne reçoit pas de réponse à sa demande d’admission, réalisant au passage que l’assemblée ne compte que 5% de femmes. Aude de Thuin décide donc de créer le Women’s Forum for the Economy & Society, avec pour sous-titre « construire le futur avec la vision des femmes. » Cette fois-ci, il s’agit « de faire œuvre utile pour les femmes et de débattre de sujets majeurs pour faire évoluer le monde. Tous ont jugé que c’était un projet fou. » Elle place la barre très haut pour les sponsors et pour les visiteurs (entre 2 500 et 5 000 euros l’entrée), des tarifs élevés qui permettent d’inviter une femme des pays émergents pour chaque participant(e) payant(e). La première session a lieu en 2005 et rassemble 550 visiteurs ; en 2010, les 3 000 visiteurs sont atteints, dont plus de 10% d’hommes, venant de plus de 80 pays. Dès 2007, chaque année, le Forum invite une délégation étrangère de 50 femmes. Et en 2008, Aude de Thui lance l’Asia Women’s Forum en Chine. Elle est contrainte pour des raisons financières liées à la crise de 2008, de céder le Women’s Forum, passé aujourd’hui dans les mains de Publicis. Mais elle ne s‘arrête pas là et crée en mars 2012 le French Forum.
Le monde des femmes
Avoir confiance en soi, voilà qui est crucial pour réussir sa vie, nous explique Aude de Thuin. Or, ce manque de manque de confiance est selon elle d’ordre culturel plutôt qu’une question individuelle. S’appuyant sur sa propre expérience, elle nous rappelle l’importance d’être fière d’être une femme et nous donne des clés pour oser être soi. L’ambition doit aussi se conjuguer au féminin. En effet, les femmes se montrent toujours frileuses lorsqu’il s’agit d’avouer leur ambition alors que cela ne gêne en rien les hommes. Un homme ambitieux, c’est normal ; une femme ambitieuse a les dents qui rayent le parquet. Proudhon déclarait d’ailleurs : « Une femme qui exerce son intelligence devient laide, folle et guenon ». Tout un programme. Néanmoins, les femmes semblent aujourd’hui plus à l’aise quand il s’agit d’exprimer leur ambition, ce qui n’empêche pas le fameux plafond de verre d’être encore bien réel. Là encore, Aude de Thuin nous donne des conseils sur la manière d’arriver au sommet sans renier ce que l’on est : une femme. Elle souligne notamment l’importance des réseaux devenus incontournables pour les femmes et le développement de l’entreprenariat féminin, encore timide en France : en effet, alors qu’en Amérique du Nord les femmes représentent autour de 40-45% des créateurs d’entreprise, leur proportion en France n’est que de 30%. Confiance en soi, ambition certes… Mais comment concilier vie professionnelle et vie familiale ? L’auteur insiste sur le fait que les entreprises doivent tenir compte des contraintes spécifiques des femmes : adaptation des horaires, congé parental, partage des tâches…
Mais impossible d’en arriver là sans éducation. C’est pourquoi Aude de Thuin consacre à ce sujet tout un chapitre fort documenté, rappelant les disparités entre pays développés et pays en développement. Dans les pays pauvres, l’éducation des femmes est notamment un enjeu de santé publique ; l’apprentissage par exemple des soins élémentaires à donner au nouveau-né permet de faire reculer de façon significative la mortalité infantile. Dans les pays riches, si l’éducation est un droit acquis pour les filles, il reste également du chemin à parcourir. Comment expliquer que les femmes soient encore si peu présentes dans les voies scientifiques ? Comment lutter contre les stéréotypes si profondément ancrés chez les hommes mais aussi chez les femmes ?
Le monde et les femmes
Enfin, Aude de Thuin montre que le monde a besoin des femmes, notamment en économie et en politique. Des études récentes ont d’ailleurs montré que les femmes améliorent les performances des entreprises. Dans cette perspective, la crise est-elle une chance pour les femmes ? Il semblerait que la réponse soit positive. L’organisation National Council For Research on Women, dans son rapport intitulé « Women in fund management », a plaidé en faveur d’une « masse critique de femmes » dans les fonds d’investissement : 30% de femmes pourraient être une réponse à la crise financière. En effet, les femmes ont une approche plus mesurée de la prise de risque, sont mieux informées et plus méthodiques dans la prise de décision et favorisent le long terme plutôt que le court terme. Des qualités à l’origine d’une plus grande stabilité en matière d’investissements. Des fonds d’investissement féminins ont même été créés à travers le monde. Wendy Luhabe a créé en 1994 en Afrique du Sud Wiphold ; ses actionnaires ne sont que des femmes qui veillent à placer les fonds dans des sociétés appartenant à des femmes.
La mondialisation joue également un rôle dans le réveil des femmes. Le développement économique des pays émergents bénéficie à la population dans son ensemble, mais ce sont les femmes qui tirent leur épingle du jeu. Pour une raison simple : travailler leur assure une indépendance économique qui mène à leur indépendance personnelle. A ce titre, l’émancipation des Chinoises est spectaculaire depuis l’ouverture de la Chine au capitalisme. Le Printemps arabe a montré également que les femmes étaient en première ligne quand il s’agissait de défendre leurs droits. Ce qui a suscité beaucoup d’espoirs et d’attentes !
Référence :
Aude de Thuin, Femmes, si vous osiez, le monde s’en porterait mieux, Robert Laffont, 2012.
A lire :
« Aude de Thuin, entrepreneure hors du commun », Marie Claire, mars 2012.