Les espionnes sortent de l’ombre

Des 007 au féminin ? Une journaliste rencontre six espionnes qui ont vécu la guerre froide
 de l’intérieur. Des États-Unis à l’URSS en passant par Israël, Les espionnes racontent, 
websérie documentaire animée adaptée du livre éponyme de Chloé Aeberhardt , retrace les hauts faits et le parcours mouvementé de ces femmes de l’ombre. Et bouscule enfin le mythe de l’espionne incarnée par Mata Hari.

D’abord un livre

Au terme de cinq années d’enquête entre Paris, Washington, Moscou et Tel-Aviv, la journaliste Chloé Aeberhardt a retrouvé la trace des espionnes des principaux services de renseignement engagés dans la guerre froide. Ces retraités de la CIA, du KGB, du MI5, de la DST ou du Mossad l’ont reçue chez elles et lui ont raconté le rôle décisif qu’elles ont joué dans le conflit Est-Ouest, de la pénétration des cercles du pouvoir occidental par les agents soviétiques à la traque des anciens nazis en Amérique du Sud en passant par l’exfiltration des juifs falachas d’Éthiopie vers Israël dans les années 1980. Elle en a tiré un livre, Les espionnes racontent, paru en 2017.

Geneviève, Joanna, Ludmila, Yola, Martha, Gabriele : six épisodes, six portraits d’espionnes

Trois ans plus tard, son enquête est adaptée en web-série diffusée sur Arte. Six épisodes, six portraits d’espionnes au parcours époustouflant. Joanna Mendez, l’équivalent de Mister Q dans James Bond, fut l’une des célébrités de la CIA et certainement la plus hollywoodienne des espionnes. Avec son mari Tony, ils participèrent en 1989 à l’exfiltration d’une des meilleures taupes de l’agence américaine au sein du KGB, sur le point de se faire démasquer. Envoyés à Moscou, ils orchestrèrent une exfiltration digne d’un film d’action. Preuve vivante que la réalité est parfois aussi folle que la fiction.

Quand à Gabriele, ouest-allemande, c’est au départ par amour qu’elle a espionné ses compatriotes pour le compte de la Stasi. Ce sera ensuite par conviction et avec un grand talent qu’elle livrera à l’Est des milliers de documents, en profitant d’une séance de natation pour transmettre, sous l’eau, les informations rassemblées.

 

Cette série rappelle aussi que l’espionnage n’est pas uniquement un métier d’action. Ce sont aussi beaucoup d’heures passées à compiler, étudier des documents. Ainsi Geneviève est l’une des premières femmes analystes de la DST, le contre-espionnage français. Dans les années 70, elle occupe ses journées à répertorier les diplomates soviétiques présents sur le territoire français ; parmi eux, un colonel du KGB qui entrera dans l’Histoire.

Ces espionnes sont prêtes à tout et ont un véritable talent de dissimulation. Ludmila se met dans la peau d’une autre pour accomplir sa mission. Elle va être séparée pendant deux ans de son fiancé, qui appartient au KGB, afin d’être formée et de se créer une nouvelle identité, celle d’une jeune femme allemande. A Buenos Aires, où elle retrouve son mari, Ludmila est chargé d’identifier les SS venus trouver refuge dans la région.

Retrouver ces femmes et les faire parler : patience et persévérance

Chloé Aeberhardt se met également en scène, racontant les difficultés parfois rencontrées pour retrouver ces femmes et les faire parler. « J’ai essuyé beaucoup de refus… Il a fallu ruser pour parvenir à contacter ces femmes, et les convaincre de me parler. » Edmond, un ancien du SDECE (l’ex Direction générale de
la Sécurité extérieure), qui prête sa voix à son propre personnage dans la websérie, apportera un précieux soutien à la journaliste dans son entreprise. Si certaines se livrent dès les premiers entretiens, d’autres se montrent plus méfiantes, comme l’Allemande Gabriele Gast. « Taupe de l’Est pendant dix-sept ans au sein des services d’Allemagne de l’Ouest, elle a été dénoncée, incarcérée puis moquée dans la presse, alors que c’était une agent de grand talent », précise Chloé Aeberhardt.

On se laisse emporter par la voix de Miou Miou qui est un vrai délice. Une mention sépciale également pour Aurélie Pollet, la réalisatrice et l’illustratrice de cette série d’animation.

La journaliste bouscule enfin le mythe de l’espionne, souvent incarnée par Mata Hari, et redonne aux femmes leur place dans l’histoire de l’espionnage.

Les espionnes racontent, websérie disponible sur Arte depuis le 23 mars 2020.