Un décryptage pertinent des représentations médiatiques de le femme maghrébine, à relire à l’aune des révolutions arabes.
En quelques décennies, l’image de la femme au Maghreb a incroyablement évolué dans les médias. Jusqu’à la fin des années 1980, le Maghreb vivait à l’abri de ses télévisions publiques, aussi puritaines que politiquement neutralisées. L’image de la femme « émancipée » était alors celle de l’actrice égyptienne. Puis, au cours des années 1990, l’Europe a déversé sur l’Afrique du Nord un torrent d’images. Ce sont celles des télévisions publiques récemment privatisées, puis les télévisions par satellite, et enfin les écrans de l’Internet, qui démultiplient à l’infini les images des femmes, de leurs corps, de leur liberté et de leurs plaisirs. Dans un monde marqué par l’enfermement et le voilement multiséculaire des femmes, cette exhibition, aussi soudaine que massive, est proprement révolutionnaire. Or, c’est dans cet espace que se transforment les mentalités, et avec elles l’image des femmes.
Une multiplicité de modèles féminins coexistent désormais en Algérie, en Tunisie et au Maroc, ce qui était inimaginable il y a cinquante ans. Face à ce paysage inattendu et hétéroclite, l’ouvrage collectif, L’image de la Femme au Maghreb, paru sous la direction de Khadija Mohsen-Finan, enseignante et chargée de recherche à l’Ifri (Institut français des relations internationales) permet d’y voir plus clair et de comprendre ce qui se joue véritablement autour de la place des femmes au Maghreb de la question taboue de la lutte des sexes dans la famille patriarcale.
Car la femme est un prisme éloquent pour parler des sociétés maghrébines et l’étude des représentations féminines dans les médias posent la question suivante : ces images de femmes actives, émancipées, politisées bien que souvent voilées rendent-elles compte d’une transformation de la société musulmane ou ne seraient-elles qu’un miroir déformant ?
Une société marocaine à la fois mouvante et résistante au changement
Au Maroc, Zakya Daoud observe un entrechoc des modèles auxquels on peine à trouver un sens dans le contexte d’une société ayant profondément évolué depuis ces dix dernières années. Et les médias n’y sont pas pour rien. Alors que la presse en français encourage la modernisation en rendant compte de la féminisation de la société et en la poussant en avant, la presse et les médias en arabe évoluent sur une ligne médiane dont le franchissement est immédiatement sanctionné tandis que les médias islamistes poussent, eux, à une retraditionalisation dans le cadre d’une Ouma islamique nouvelle. Au sein de ce panorama heurté, les femmes ont envahi les médias aussi bien en arabe qu’en français ; elle occupent des postes importants au sein de rédaction, fondent des magazines.
Plus visibles, elles ont aussi bénéficié de la politique du Roi Mohammed VI qui entend afficher un visage moderne. Ainsi, dans le nouveau gouvernement constitué un mois après les législatives de septembre 2007, et pour la première fois, sept femmes ont accédé au rang de ministres et de secrétaires d’Etat dans des postes importants. Les médias s’attachent à ériger en exemple ces femmes marocaines qui s’investissent désormais dans tous les domaines.
Néanmoins, cette société qui bouge est aussi une société qui résiste au changement. Le nouveau code de la famille, adopté en 2004, demeurait en 2006 méconnu de 38% de la population ; la répudiation et la polygamie sont toujours autorisées tandis que la violence envers les femmes se banalise.
Justesse et maladresse des représentations de la femme dans le cinéma tunisien
La Tunisie, elle, fait office de bon élève par rapport au Maroc et à l’Algérie. Depuis 1956, la polygamie est officiellement interdite ; c’est d’ailleurs le seul pays arabe et musulman où cela est stipulé si clairement. En faveur de leur émancipation, quelques films tunisiens dont ceux de Selma Baccar, Nouri Bouzid ou encore Moufida Tlatli, ont beaucoup fait pour la femme tunisienne. Car si les réformes sociales et institutionnelles peuvent être d’un apport non négligeable, Hédi Khélil montre que c’est à l’art, dont les effets sont moins perceptibles et moins immédiats, qu’il appartient de secouer l’inertie des mentalités et d’éclairer les consciences. Dans ce domaine, le cinéma tunisien, avec ses hauts et ses bas, ses touches justes et ses dissonances, a été souvent à l’avant-garde de la cause féminine.
Des femmes algériennes instrumentalisées
En Algérie, quand les médias s’intéressent aux femmes, c’est le plus souvent sous l’angle des violences qu’elles subissent. En analysant la presse algérienne, Ghania Mouffok souligne que l’image des femmes a été instrumentalisée. Pendant la guerre d’indépendance et la guerre civile, leurs souffrances ont servi d’arme de combat. Les femmes ont été cantonnées au rôle d’objet d’histoire mais elles ne sont jamais devenues des sujets à part entière de leur destin. Aujourd’hui, leur image reste celle d’un corps à prendre et à défendre. Et cette manière de défendre la femme et de la cantonner dans la sphère familiale, dans une ère protégée, c’est une façon de ne pas lui octroyer de droits. Les femmes photographiées ont d’ailleurs toujours le visage masqué comme pour mieux effacer leur existence sociale et politique, et du même coup, mieux les enfermer dans un modèle de vie qui est celui de la « bonne maman » et de la « bonne épouse ».
Les femmes diplômées au Maghreb et leur image dans la société
Enfin, la promotion des femmes et les changements liés à leur condition sont peut-être le changement le plus considérable au Maghreb postcolonial ; c’est du moins ce que souligne Pierre Vermeren. Trois décennies ont été nécessaires pour qu’émerge une classe constituée de femmes diplômées en Afrique du Nord et leurs compétences sont désormais reconnues. Il reste que dans ces pays, les femmes politiques ont des pouvoirs réduits et les plus politisées redoutent leur instrumentalisation en tant que femmes. De plus, s’il n’est guère aujourd’hui de profession intellectuelle qui ne soit – au moins partiellement – ouverte aux femmes, la société des hommes fait corps. Il reste encore beaucoup à faire pour que s’ouvre véritablement les cercles du pouvoir et de la sociabilité au deuxième sexe afin d’éviter que les femmes diplômées ne constituent une société séparée ou une contre-élite partagée entre la tentation du repli sur la sphère privée et celle de faire sa vie sous d’autres cieux.
Cet ouvrage collectif propose donc un décryptage pertinent et inédit des représentations médiatiques des femmes en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Loin des approximations et des lieux communs, les auteurs analysent au plus près la manière dont vivent les femmes au Maghreb et quels récits et légendes fabriquent les médias quand ils s’intéressent aux femmes. La question religieuse – celle du voile ou du terrorisme – a eu tendance à saturer le regard, notamment européen, d’émotions qui font écran et empêchent de voir – ce que ce livre s’attache à démontrer – la complexité des sociétés maghrébines où les femmes jouent un rôle éminent. Le cas des diplômées au Maghreb, étudié par Pierre Vermeren, est à cet égard révélateur.
Néanmoins, les femmes d’Afrique du Nord sont loin d’être toutes sur un pied d’égalité et il reste beaucoup à faire. Car si la femme est un prisme approprié pour parler des sociétés du Maghreb, il reste trop souvent déformant.
Après lecture de ce livre, un constat s’impose : il n’existe pas une image de la femme maghrébine mais des images plurielles en perpétuel changement.
Cet ouvrage est aussi une invitation à la découverte des cinémas du Maghreb, des films de la Tunisienne Moufida Tlatli à ceux de l’Algérien Nadir Moknèche.
A lire :
Khadija Mohsen-Finan, dir., L’image de la femme au Maghreb, Actes Sud, 2008, 121 pages.
Anne Laveau-Gauvillé, Cinéma, Femmes et Islam, Thèse professionnelle, 2005, 86 pages.
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