Les droits des femmes tunisiennes en danger ?

La Tunisie a toujours été considérée comme pionnière en matière de droits des femmes au Maghreb. Mais depuis l’arrivée au pouvoir du parti Ennahda, les  Tunisiennes s’inquiètent. Leurs droits sont-ils menacés ? A quelles difficultés vont-elles devoir faire face ? Quels seront leurs défis demain ?

La Tunisie, pionnière en matière de droits des femmes au Maghreb

La Tunisie a toujours été considérée comme pionnière en matière de droits des femmes au Maghreb. Dès le lendemain de l’indépendance en 1956, sous l’impulsion d’Habib Bourguiba (à la tête du pays jusqu’en 1987), une série de lois destinées à instaurer l’égalité hommes-femmes sont promulguées. Le  principe de l’égalité entre l’homme et la femme est en effet expressément garanti  par les textes constitutionnels et législatifs tunisiens. Il est consacré dans la Constitution tunisienne : « Tous les citoyens ont les mêmes  droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi. »

Le Code du Statut Personnel promulgué le 13 août 1956 abolit la  polygamie, institué le divorce judiciaire, fixé l’âge minimum au mariage à  15 ans pour la fille (porté à 17 ans en 1964), sous réserve de son consentement et attribué à la mère,  en cas de décès du père, le droit de tutelle sur ses enfants mineurs. Enfin, en 1957, les Tunisiennes obtiennent le droit de vote et celui de se porter candidates aux élections. L’avortement est légalisé en 1973.

Ben Ali (1987-2011) continue dans ce sens, soucieux d’engranger sur la scène internationale les bienfaits de cette image de « la femme moderne tunisienne ». Il peaufine donc l’arsenal législatif en faveur des femmes, notamment avec la loi de juillet 1993. Toutefois, la répression en vigueur sous Ben Ali n’était pas sans effets et les associations féministes autonomes étaient réprimées.

En matière de droits sociaux, la non discrimination entre l’homme et la femme dans tous les aspects du travail est affirmée. Les allocations familiales sont octroyées de façon automatique à la mère qui a la garde des enfants. Les critères d’octroi des avantages, en matière de couverture  sociale, entre les secteurs publics et privés, sont unifiés de manière à garantir l’égalité  entre les deux sexes. Le paiement des pensions d’orphelins au bénéfice des enfants  poursuivant leurs études supérieures, et ce, jusqu’à l’âge de vingt-cinq  ans sont maintenus. Les deux époux peuvent contracter un prêt individuel pour  l’achat du logement commun.

Dans le domaine du droit au travail, la  législation tunisienne consacre l’égalité entre l’homme et la femme dans  tous les domaines du travail et garantit la protection de la femme  travailleuse en tant que femme et en tant que mère. La femme tunisienne a accédé aux divers secteurs du travail.

Selon l’Institut national de la statistique de Tunisie, en 2009, les Tunisiennes représentaient plus du quart (27,9%) de la population active, 72% des pharmaciens, 45% des chercheurs, 42,5% des avocats, 44,3% des fonctionnaires et 34% des journalistes du pays. Alphabétisées à plus de 70%, les filles représentaient près des deux tiers (62%) des 400 000 étudiants de l’enseignement supérieur.

Mariage. L’Obligation est faite aux  deux époux de « se traiter mutuellement avec bienveillance et de  s’entraider dans la gestion du foyer et des affaires des enfants », en  remplacement de la disposition stipulant que « la femme doit respecter les  prérogatives du mari ». Le consentement de la mère au mariage de son enfant mineur est obligatoire. La fille mineure mariée a le droit de conduire sa vie privée et ses  affaires. Un fonds garantissant le versement des pensions alimentaires au  profit de la femme divorcée et de ses enfants est créé. La  mère tunisienne mariée à un non Tunisien peut légalement accorder sa  propre nationalité à son enfant, sous réserve, toutefois, du consentement  du père. Les sanctions encourues, en cas de violence conjugale, sont renforcées, en considérant  les liens matrimoniaux comme des circonstances aggravantes.

La Loi n° 93-74 du 12 juillet 1993 apporte des modifications :

  • Chacun des deux époux doit  traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en bon rapport avec lui et éviter  de lui porter préjudice.
  • Les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux  usages et à la coutume.
  • Ils coopèrent pour la conduite des affaires de la famille, la bonne éducation  des enfants, ainsi que la gestion des affaires de ces derniers y compris  l’enseignement, les voyages et les transactions financières.
  • Le mari, en tant que chef de famille, doit subvenir aux besoins de l’épouse  et des enfants dans la mesure de ses moyens et selon leur état dans le cadre  des composantes de la pension alimentaire.
  • La femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens.
  • Le mari ne dispose d’aucun  pouvoir d’administration sur les biens propres de la femme.

Divorce. Par la Loi du 18 février 1981, le Tribunal prononce le divorce :

  • en cas de consentement mutuel des époux,
  • à la demande de l’un des époux en raison du préjudice qu’il a subi,
  • à la demande du mari ou de la femme.

Il  est statué sur la réparation du préjudice matériel et moral subi par l’un  ou l’autre des époux et résultant du divorce prononcé dans les deux cas prévus  aux 2ème et 3ème alinéas ci-dessus. En ce qui concerne la femme, le préjudice matériel sera réparé sous forme  de rente payable mensuellement et à terme échu à l’expiration du délai de  viduité, en fonction du niveau de vie auquel elle était habituée durant la  vie conjugale, y compris le logement.

Janvier 2011 : les femmes tunisiennes sur le devant de la scène

Parce qu’elles étaient les plus émancipées du monde arabe, les femmes tunisiennes ont largement participé à la révolution de janvier 2011. Et leur rôle a été essentiel dans la chute de Ben Ali. La révolution tunisienne est née dans les quartiers populaires et déshérités du centre du pays. Et contrairement à d’autres pays arabes – comme le Yémen, Bahreïn, la Libye et la Syrie – la participation des femmes a été vive dès la première vague d’indignation qui a touché le gouvernorat de Sidi Bouzid au lendemain de l’immolation du jeune Mohammed Bouazizi le 17 décembre 2010.

Pourtant, en Tunisie, un fossé social et culturel entre les femmes éduquées des classes moyennes et supérieures des grandes villes et celles des régions les plus pauvres du centre du pays persiste clairement. Elles sont nombreuses, dans les campagnes tunisiennes, à ne pas avoir bénéficié des bienfaits du système éducatif. Le chômage croissant, la charge de familles nombreuses, le poids des cultures tribales et patriarcales continue de peser sur ces territoires. Les écarts de salaires entre hommes et femmes sont forts. Après la chute de Ben Ali, ce sont ces femmes issues des milieux populaires  qui maintiendront la pression sur les divers gouvernements provisoires à Tunis. A partir de la grève générale de Sfax, le 12 janvier, les grandes villes et la capitale entrent dans la contestation, associant les femmes des classes moyennes et celles de la bourgeoisie libérale. La loi d’avril 2011 instituant la stricte parité hommes-femmes en politique est une victoire importante. Mais c’était sans compter les résultats des élections.

Les nouveaux défis des Tunisiennes

Aujourd’hui, tous leurs acquis du temps d’Habib Bourguiba sont menacés par les islamistes les plus radicaux du parti Ennahda. En coalition avec le CPR et Attakattol, formant le « Troïka », ils n’ont pas encore pu mettre la référence de la charia dans le premier article de la Constitution. Pour Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), la charia suscite une « angoisse existentielle » pour les femmes qui ont en mémoire l’Algérie et l’Iran où les droits acquis des femmes leur ont été confisqués. Annabelle Laferrère fait le point pour www.jolpress.com.

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Vie privée… La chasteté ou le bistouri !

Dans Vierges ? La Nouvelle Sexualité des Tunisiennes, la psychanalyste Nédra Ben Smaïl estime qu’un nombre grandissant de femmes ont recours à une chirurgie réparatrice de l’hymen avant le mariage. Gaëlle Rolin fait le point dans Le Figaro Madame.

Cela coûte entre 600 et 1000 dinars, soit entre 300 et 500 euros. Si la pratique existe depuis plusieurs décennies, elle aurait explosé depuis la Révolution de jasmin de décembre 2010. De plus en plus de Tunisiennes demanderaient à se faire recoudre l’hymen avant le mariage. « 20 % seraient des “vraies vierges” et plus des trois-quarts seraient des “vierges médicalement assistées” », écrit la psychanalyste Nédra Ben Smaïl dans son livre, se basant sur des entretiens réalisés auprès de gynécologues et des centaines de témoignages anonymes. Les Tunisiennes se marient de plus en plus tard, aux alentours de 30 ans, à cause de leur difficulté à rencontrer « un mari », mais aussi parce qu’organiser un mariage coûte cher, dans un pays où la situation économique des jeunes est très difficile. En janvier 2011, 30 à 35 % des jeunes diplômés tunisiens étaient au chômage.

Interrogée par le site Slate Afrique, Nédra Ben Smaïl explique que « l’institution matrimoniale, qui est pourtant bien ancrée dans la société tunisienne, recule devant le célibat, devenu un véritable phénomène de société. [Cela témoigne] autant de la transition démographique que du malaise d’une culture en crise de mutation. »

Si les mœurs évoluent, reste qu’il faut continuer à sauver les apparences et assurer la garantie d’une respectabilité. Selon une étude réalisée en 2005 par l’hôpital psychiatrique Razi de Tunis, 83,7 % des Tunisiens estiment qu’une femme doit préserver sa virginité jusqu’au mariage. De nombreuses Tunisiennes dénoncent l’hypocrisie des hommes, qui recherchent, eux aussi, une vie sexuelle avant le mariage. « Même s’ils choisissent très rarement d’épouser celles avec qui ils auraient couché avant », note Lilia Blaise, la journaliste de Slate Afrique.

L’hyménoplastie permet donc d’effacer les stigmates de sa vie de femme célibataire et arrange hommes, femmes, familles et société. Plusieurs hauts responsables du gouvernement ont appelé récemment à des mesures pour décourager les rapports sexuels hors du mariage. La chasteté ou le bistouri, telle est l’alternative des Tunisiennes de 2012.

Sources :

  • Zakya DAOUD, « Politique et féminismes au Maghreb », Le siècle des féminismes, Editions de l’Atelier, 2004.
  • Le Temps des femmes, Alternatives économiques, septembre 2011.

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