Le clou de Zhang Yueran : portrait d’une génération ultrasensible et désabusée

Premier roman traduit en français de Zhang Yueran, Le Clou dresse le portrait d’une génération cabossée, marquée par la violence et les conflits familiaux, et confrontée à l’impossibilité d’aimer. Ce roman ultrasensible nous ouvre une fenêtre sur la jeunesse chinoise d’aujourd’hui, ses doutes, ses désillusions.

Li Jiaqui et Cheng Gong, trentenaires déboussolés, se retrouvent après des années de silence. Elle rentre de Pékin où elle était rédactrice de mode ; lui habite encore avec sa tante sur le campus de la Faculté de médecine, là où tout a commencé. Parce que leurs grands-pères – l’un éminent chirurgien, l’autre directeur adjoint de l’hôpital universitaire – s’y sont côtoyés aux heures les plus sombres de la Révolution culturelle. Parce que c’est ici que tout a basculé. Le temps d’une nuit, Li Jiaqui et Cheng Gong font ressurgir leurs souvenirs d’enfance et dévoilent progressivement le secret qui a déterminé leur vie et les a séparés à tout jamais. En une fresque incroyablement vivante, de la Révolution culturelle aux années 2000, Zhang Yueran dresse un portrait intelligent et sensible d’une génération issue de la politique de l’enfant unique.

Pour écrire Le Clou, l’auteure s’est inspirée d’une nouvelle de son père racontant une histoire vraie dont il avait été témoin durant son adolescence. Dans un bâtiment de la résidence où il vivait, réservé aux familles du personnel hospitalier, quelqu’un avait enfoncé un clou dans le crâne d’un médecin lors d’une séance de critique. Celui-ci avait peu à peu perdu l’usage de la parole et de ses membres, il était devenu un légume et avait passé le reste de sa vie sur un lit d’hôpital.

Parce que « la littérature a pour mission de nous faire atteindre une strate plus profonde de la vie, de nous faire vivre une expérience nouvelle et jusqu’alors insoupçonnée », Zhang Yueran a consacré sept années à l’écriture de ce roman qui dit-elle, « a accompagné les derniers moments de (sa) jeunesse ». Une page se tourne.

Mais la relève est assurée. On se souvient de Weihui et Mian Mian, deux jeunes femmes qui avaient fait scandale dans les années 90, en publiant respectivement, Shanghai Baby et Les bonbons chinois. Censurés en Chine, les deux livres s’étaient arrachés sur Internet et avaient rencontré un accueil triomphal en Occident en proposant une plongée « sex, drug and rock’n roll » dans l’empire du Milieu. Au cœur de leur récit : les préoccupations et l’isolement de la jeunesse. Les personnages féminins, bien qu’habitant des quartiers animés, éprouvent un profond sentiment de solitude. Elles incarnent une jeunesse post-moderne décomplexée et désabusée dont les confessions impudiques flirtent parfois avec le morbide. Des traits communs, presque vingt ans plus tard, avec l’héroïne de Zhang Yueran, Li Jiaqi.

Avec Zhang Yueran, née en 1982, c’est une nouvelle voix prometteuse et singulière de la littérature chinoise que nous découvrons. A suivre absolument.

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