Au sein des grandes entreprises, par secteurs d’activité ou par centres d’intérêt, les cercles réservés aux femmes explosent. Accroître ses compétences, doper sa carrière, mais aussi débattre et s’entraider… Que peut-on vraiment attendre de ces nouveaux lieux d’influence ? Comment les choisir et jusqu’où s’y impliquer ? Une Plongée dans ces nouveaux lieux d’influence réservés aux femmes… Un dossier réalisé par Morgane Miel à lire dans Madame Le Figaro.
lI y a encore cinq ans, les agendas des working women se partageaient dans un subtil équilibre selon les obligations de la fameuse double journée. C’était compter sans un nouvel invité : le déjeuner de réseau. Et son cortège d’à-côtés : conférences, petits déjeuners de mises en relation, cocktails de lancement… Mini-révolution dans les BlackBerry. Et vrai phénomène de société. Depuis 2006 et la première édition du Women’s Forum à Deauville, le nombre de clubs féminins a littéralement explosé. « Quand j’ai commencé à m’intéresser au sujet, explique Emmanuelle Gagliardi, auteur du Guide des réseaux au féminin (Le Cherche midi éditeur), j’assurais une veille auprès de 200 d’entre eux, ce qui était déjà énorme. Aujourd’hui, nous en suivons 400. » Au sein des entreprises, le mouvement s’organise. Lancé en 2011, le réseau féminin de la SNCF compte ainsi déjà plus de 2 000 inscrites. Celui de la Caisse des dépôts et consignations, créé la même année, plus de 1 000. Partout, le même objectif : aider les femmes à progresser plus rapidement dans leur vie professionnelle. « Cette tendance de fond répond à un besoin réel de prendre la parole, souligne Clarisse Reille, présidente de Grandes Écoles au Féminin. Dans nos premières études, 78 % des femmes de notre réseau déclaraient se sentir « singulières » au travail. Elles avaient l’impression que leurs difficultés à monter dans la hiérarchie venaient entièrement d’elles, de certains manquements dans leur personnalité. Rassemblées pour la première fois au Women’s Forum, juste entre nous, nous nous sommes senties brusquement très relaxées. Même s’il s’agissait de dire à quel point le monde professionnel pouvait être agressif. » Qu’attendre aujourd’hui des réseaux féminins ? Comment choisir le sien et jusqu’où s’y investir ? Trois figures clés de ces cercles d’influence répondent.
Clarisse Reille, Présidente de Grandes Écoles au Féminin et de Centrale au Féminin
AVANT/APRÈS
« Entrée chez GEF un peu par hasard, j’ai pris conscience que la diversité était un vrai sujet de société. Cela a changé ma vision de la vie, l’a rendue plus dense. J’ai l’impression de faire des choses qui servent, seront utiles aussi à mes filles de 14 et 17 ans, même si elles ne le comprennent pas encore.
Sophie Vernay, Vice-présidente de Féminin by Société générale, secrétaire générale de Financi’Elles (le réseau des femmes cadres de la banque et de l’assurance)
AVANT/APRÈS
« Financi’Elles nous a permis de dépasser les liens classiques, hiérarchiques ou managériaux qui régissent l’entreprise. Jusqu’ici, ma fonction de DRH, très statutaire, ne me le permettait pas. Nous avons pu ouvrir les frontières, étendre notre champ d’expression à tout le secteur de la banque et de l’assurance. C’est nous qui avons délimité ce terrain d’action. Il ne nous était pas imposé. Créer ce réseau nous a permis de renouer d’une certaine façon avec la liberté. »
Véronique Morali, Présidente du Women Corporate Directors en France, de Terra Femina, de Force Femmes, et du Women’s Forum
AVANT/APRÈS
« Avant, j’évoluais dans un univers riche et varié, mais assez éloigné d’un certain nombre de réalités. Je n’imaginais pas combien les femmes avaient besoin d’être écoutées, soutenues. Ces réseaux ont accéléré à la puissance mille ma prise de conscience. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus tournée vers les autres. Convaincue de la nécessité de rassembler de façon inclusive. Moi qui me suis construite plutôt seule dans un univers masculin que je ne renie pas, j’ai créé là un lien spécial avec certaines femmes, devenues des amies. Je sais que je pourrais désormais compter sur elles. Pour ces réseaux, j’ai beaucoup donné, mais reçu tout autant. »
Jamais deux sans trois ?
Comme un tabouret tient mieux debout sur trois pieds, une stratégie efficace se construit sur plusieurs piliers. « Je conseille vraiment de s’inscrire dans le réseau féminin de son entreprise, s’il existe, ou le cas échéant, de le créer », assure Sophie Vernay, secrétaire générale de Financi’Elles (le réseau des femmes cadres de la banque et de l’assurance). « C’est une source d’informations très importante en interne, doublée d’un vrai engagement au service de la promotion des femmes dans l’entreprise. En parallèle, je conseillerais aussi de participer à un cercle plus transversal : sectoriel, qui regroupe les femmes d’un corps de métier, ou généraliste, avec des femmes cadres ou issues d’une même grande école. Et de garder du temps pour entretenir son carnet d’adresses personnel, qui reste un réseau à part entière. » Comment articuler l’ensemble ? « Pour construire une cartographie cohérente, il faut un axe directeur, précise Véronique Morali, à la tête de Force Femmes et du Women Corporate Directors en France. Celui-ci doit correspondre à notre géographie intime et personnelle, aux valeurs vers lesquelles on veut tendre. Choisir ses réseaux, c’est aussi l’occasion de se redemander : aujourd’hui, quel est mon projet de vie ? »
Impliquée… mais pas dévorée !
Avant d’intégrer l’une de ces structures, il faut être prête à donner. À écouter, à conseiller, à partager son expérience. Et même, parfois, à ouvrir son carnet d’adresses ou à recommander des CV. « S’impliquer, c’est la première démarche du changement : elle pousse à sortir de soi, à changer de point de vue et de dimension », insiste Véronique Morali. Problème : comment trouver ce temps de la générosité dans un planning archichargé ? Les femmes rencontrées pour cette enquête le disent toutes : ultra-organisées, elles s’investissent sur leur temps intime et personnel, traitent les demandes liées au réseau le week-end ou… la nuit ! Quitte à flirter dangereusement avec le burn out. C’est pourquoi aujourd’hui, ces mêmes réseaux essaient d’apprendre à retrouver une maîtrise du temps. À s’autoriser à penser par phases.
« Il y a des périodes dans la vie et dans la carrière où l’on est plus disponible que d’autres », explique Clarisse Reille. Le principe des réseaux féminins ? « L’idéal est d’y consacrer deux heures par semaine, à un moment précis, et d’inclure ce temps dans la journée de travail, comme le font les hommes, assure Emmanuelle Gagliardi. Accepter un petit déjeuner ou une soirée une fois par mois, c’est déjà très bien. »
Intégrer un réseau, même si leurs présidentes s’en défendent, c’est bien sûr gagner en visibilité. À l’extérieur comme en interne, on pensera davantage à vous pour un poste. Mais attention, « la visibilité va de pair avec la responsabilité, souligne Sophie Vernay. Prendre la parole devant ses patrons, c’est aussi être assimilée à un message qu’ils n’ont pas toujours envie d’entendre. » D’où l’importance d’être en accord avec les valeurs du réseau. « Dans le cas de Financi’Elles, relayer les résultats de nos études sur la satisfaction des femmes cadres dans la banque n’était pas forcément facile, poursuit Sophie Vernay. C’est pourquoi celles qui choisissent de s’exposer sont souvent déjà arrivées au sommet de leur carrière. D’une certaine façon, elles s’engagent pour les générations à venir. »
Accélérateur de carrière ?
« Plus que des accélérateurs, les réseaux jouent surtout le rôle de facilitateurs de carrière, insiste Véronique Morali. Ils permettent aux femmes de multiplier leurs contacts ». Être coachée, gagner en confiance, se familiariser avec les codes du leadership auxquels bien souvent elles sont étrangères…, voilà le vrai effet plus des réseaux. « Aujourd’hui, une question s’impose : à quel moment les hommes vont-ils se sentir bloqués par notre démarche ? s’interroge Clarisse Reille. Si nous voulons progresser mieux et plus vite, cela vaudrait le coup, à terme, de les inclure davantage. »
La suite ici…. Découvrez l’interview de Dominique Wolton, directeur de l’Institut des sciences et de la communication du CNRS , et une typologie des réseaux féminins.
Ce dossier publié le le 21 avril 2012 dans Madame Le Figaro a été réalisé par Morgane Miel.