Les gens me disaient souvent que je ne voyais pas les choses comme tout le monde. C’était peut-être grâce à Boba qui m’avait encouragée à étudier et m’avait protégée tant qu’elle pouvait de la laideur soviétique. Peut-être aussi grâce à Jane, une étrangère venue d’un autre monde (l’Amérique !), qui m’avait convaincue que la différence n’était pas un mal. Et puis, après tout, je n’étais peut-être pas si différente des autres.
Peut-être pas. Car si Odessa est le plus jolie ville du monde, pour ses habitants – avec ses prestigieux théâtres, son mythique Opéra, son célèbre escalier Potemkine… et une mer qui n’a de noir que le nom – c’est aussi une ville où les logements sont étriqués, le chômage élevé, les salaires misérables et la mafia omniprésente. C’est ici que Daria a grandi, étudié et obtenu son premier job grâce à son diplôme d’anglais. Pour arrondir ses fins de mois, elle travaille dans une agence matrimoniale où elle sert d’interprète à des américains venus rencontrés de jolies ukrainiennes qui donneraient tout pour décrocher un « visa-fiancée ». La vie semble si facile en Amérique et Daria se laisse peu à peu gagner par ses rêves d’évasion et de confort…
Sur le ton de l’humour, l’auteur aborde pourtant un sujet grave, celui de ces étrangers qui viennent chercher dans les pays de l’Est des épouses dociles et jolies. Quant aux jeunes femmes, elles sont prêtes à tout pour échapper à un quotidien souvent misérable et violent. Mais le rêve américain n’est pas toujours aussi rose qu’on le croit, comme nous le révèle Les fiancées d’Odessa.
Le mariage par correspondance, un des sujets abordés dans ce roman, n’est pas un phénomène nouveau : il a joué un rôle majeur dans l’histoire du peuplement des Etats-Unis. A cet égard, on pourra lire Certaines n’avaient jamais vu la mer qui raconte l’histoire de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du 20e siècle pour épouser de l’autre côté du Pacifique un homme qu’elles n’avaient pas choisi.
Janet Skeslien Charles, Les fiancées d’Odessa, Editions Liana Levi, 2012.