Irlande – Enfin des excuses aux femmes internées dans les couvents de la Madeleine

Le Premier ministre irlandais, Enda Kenny, a présenté le mardi 5 février dernier ses excuses à toutes les femmes enfermées dans les couvents de la Madeleine jusqu’en 1996. Filles mères ou jugées « immorales » dans un pays profondément catholique, près de 30 000 femmes auraient été exploitées au 20e siècle dans ces laveries religieuses.

Pendant plus de 150 ans, des femmes ont travaillé six jours par semaine sans jamais percevoir aucun salaire dans les blanchisseries commerciales gérées par quatre ordres religieux qui ont fonctionné selon les mots du Premier ministre dans une « Irlande sévère et intransigeante ». Elles y ont subi une pression psychologique importante, des punitions corporelles parfois.

Qui était ces femmes ? Des jeunes filles tombées enceintes hors-mariage – y compris des victimes de viol –  placées dans ces institutions par leur famille qui, en les faisant disparaître, pensaient échapper à la honte et au déshonneur. D’autres, considérées comme trop sensuelles dans un pays où l’Eglise s’employait à contrôler strictement la sexualité des hommes et des femmes, étaient internées. L’enfermement de ces femmes était le seul moyen, semble-t-il, trouvé par la société irlandaise pour s’assurer que les hommes ne succomberaient pas à la tentation. Néanmoins, la majorité des filles placées dans ces laveries avaient grandi dans les écoles industrielles, pensionnats dans lesquels étaient placés les orphelins et les délinquants. Enfin, on y trouvait aussi des femmes qui souffraient de problèmes physiques ou mentaux et les sans-abri. Toutes étaient envoyées là-bas par leurs parents, des juges, des prêtres, des membres de la police. Bref, toute femme considérée comme déviante et potentiellement dangereuse était envoyée dans ces couvents de la Madeleine.

Des pensionnaires y ont perdu la vie, enterrées dans des fosses communes, signe de la négation leur existence et de leur identité. Une négation affirmée dès leur entrée dans ces couvents puisque les sœurs de la Madeleine les rebaptisaient ; elles leur donnaient un autre nom, voire pire, un numéro. Mary Norris s’est retrouvée dans un couvent de la Madeleine pour avoir désobéi à un ordre. Travaillant comme bonne, l’adolescente avait pris une soirée de congé alors qu’elle n’en avait pas le droit. Pour la punir, on l’envoya dans un couvent où elle subit en arrivant un examen destiné à déterminer si elle était encore vierge. Puis elle fut envoyée au couvent de la Madeleine de Cork ; à son arrivée les sœurs changèrent son nom. « Quand je suis arrivée là-bas, ma dignité, mon identité, mon nom, tout m’a été enlevé. J’étais inexistante, je n’étais rien, je n’étais personne », se souvient Mary Norris.

Combien de temps ces femmes restaient enfermées ? Toute leur vie, parfois. Les portes étaient fermées à clé pour empêcher toute évasion, et environ 2 000 bébés auraient été enlevés à leurs mères. La seule façon pour ces femmes de s’en sortir était qu’un membre de la famille vienne les réclamer. Mary a eu cette chance ; une tante avait suivi sa trace et l’a sortie de là deux ans après. Car toutes ces femmes n’étaient pas orphelines, et pourtant, beaucoup ne sont jamais sorties de ces laveries. Où étaient leurs familles ? On peut se poser la question dans une société qui revendiquait haut et fort l’importance des valeurs familiales. Des milliers d’Irlandais se sont donc rendus complices de ce système en y envoyant leurs filles mais aussi en faisant appel aux blanchisseries pour faire nettoyer leur linge.

Il y avait en tout dix couvents de la Madeleine en république d’Irlande après l’indépendance. Celui situé à Dublin, dans Leeson Street, fut le dernier a cessé ses activités en 1996. Il a fallut attendre le 5 février dernier pour que l’Etat irlandais présente ses excuses à ces femmes. « À celles qui sont passées à divers titres par les blanchisseries Madeleine, dans 26% des cas à la suite d’une intervention des services de l’État, je dis combien je suis désolé qu’elles aient eu à vivre dans de telles conditions », a ainsi déclaré le chef du gouvernement irlandais, Enda Kenny. Entre 800 et 1 000 femmes ayant séjourné dans les couvents de la Madeleine seraient encore en vie. Néanmoins, Enda Kenny n’a pas évoqué la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation, que les survivantes réclament.

Le même jour, les quatre congrégations impliquées dans les « couvents de la Madeleine » ont présenté également leurs excuses aux victimes après la remise du rapport mettant en évidence les mauvais traitements commis dans leurs institutions. Les Sœurs de Notre-Dame de la Charité ont notamment indiqué que « c’est avec un profond regret que nous reconnaissons que les femmes n’ont pas reçu notre assistance, notre protection et notre soin ».

Leur histoire a inspiré le film Magdalene Sisters de Peter Mullan, sorti en 2002. Il a reçu le lion d’or à la 59e Mostra de Venise la même année.

 Statistiques

Admissions :

  • Number of women who spent times in laundries since 1922: 10,012*
  • Known admissions, including repeat admissions, from 1922: 14,607*
  • Admissions for which referrals route known: 8025
  • Number of referrals made or facilitated by the State 26.5% (2,124)
  • Average/Median age at time of entry 23.8 years/ 20 years
  • Age of youngest known entrant :9
  • Age of oldest known entrant: 89

*Excluding two laundries operated by the Sisters of Mercy

Duration of stay : 

  • Less than three months 35.6%
  • Less than 6 months: 47.4%
  • Less than a year 61%
  • Less than three years: 79%
  • Less than five years 85.6%
  • Less than 10 years 92.3%
  • Percentage previously institutionalised 23.4%

Parental background  (unknown 53.9%)

  • Both parents alive 12.5%
  • Father dead 11.6%
  • Mother dead 8.5%
  • Both parents dead 13.5%

 Sources :