Faire reconnaître le crime de féminicide dans le code pénal français : c’est désormais le combat de Michel Bouvier, père de Cassandre assassinée le 15 juillet 2011 en Argentine. « L’enchaînement des actes commis d’abord contre sa liberté de femme et enfin contre sa vie méritait une qualification spécifique ayant les mêmes conséquences juridiques qu’un crime contre l’humanité », souligne-t-il dans une tribune du Monde datée du 6 octobre 2011. Michel Bouvier pointe alors du doigt un phénomène dont on parle peu en France mais qui touche pourtant l’ensemble de l’Amérique latine : le féminicide.
Qu’est-ce que le féminicide ?
L’existence d’une appellation spécifique de ce type de meurtre renvoie à l’élaboration menée aux Etats-Unis en 1976 d’un concept théorique. Le terme se définit par « l’assassinat misogyne de femmes par des hommes. Un phénomène social lié au système patriarcal dans lequel les femmes sont prédisposées à être tuées, soit parce qu’elles sont des femmes, soit parce qu’elles ne le sont pas de la bonne manière[1]. » De fait, ce phénomène touche toutes les femmes, quelques soient leurs situations sociales, leurs professions et leurs niveaux d’études.
Marcela Lagarde, féministe mexicaine qui a suivi des enquêtes sur les meurtres de Ciudad Juarez, parle de « génocide contre les femmes » qui se perpétue lorsque les conditions historiques engendrent des pratiques sociales qui permettent d’attenter à l’intégrité, au développement, à la santé, aux libertés et aux vies des femmes. Ce qui reviendrait à dire que le féminicide est commis dans l’intention de détruire un groupe social identifié par son sexe, en le soumettant intentionnellement à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, selon la définition du génocide établie par l’Assemblée générale de l’ONU en 1948.
La chercheuse et féministe Mirta Kennedy, du Centre d’études de la femme du Honduras (CEM-H), précise également qu’il ne peut y avoir de féminicide sans que les autorités ne soient complices avec les auteurs des crimes car ceux-ci jouissent d’une « impunité constante quant aux crimes contre les femmes et de la responsabilité complice de l’Etat et des organismes compétents, qui ne donnent pas de réponse pour mettre fin à cette violence, tant en raison de la fragilité du système de sécurité et de justice que du manque de volonté politique, de la lenteur à mettre en œuvre les réformes légales demandées et du désintérêt manifeste pour le problème ».
Francesca Gargallo, dans son article « Le féminicide dans les républiques maquiladoras », établit quant à elle un lien entre ces assassinats de femmes et le passé de guerre civile dans ces pays, et suggère que le féminicide peut être une politique spécialement conçue pour terroriser celles qui émergent comme actrices de leur propre destin, du changement social et économique, une sorte d’action de dissuasion contre ces femmes qui auraient les velléités de participer à la vie politique, syndicale et/ou culturelle.
Et à chaque fois, les meurtres de femmes sont d’une violence inouïe. Les victimes sont violées, mutilées, tuées. Certaines victimes ne sont même plus identifiables. « Ma fille Maria Isabel avait 15 ans. Elle était étudiante et travaillait dans une boutique pendant les vacances. Durant la nuit du 15 décembre 2001, elle a été enlevée dans la capitale. Son corps a été retrouvé peu de temps après Noël. Elle avait été violée, ses mains et ses pieds attachés par du fil de fer barbelé. Elle avait été poignardée, étranglée et mise dans un sac. Son visage était défiguré par les coups, sont corps lacérés, elle avait une corde autour du cou et les ongles retournés[2] », témoigne une mère. Parfois, les cadavres sont exposés en pleine rue, souvent ils abandonnés dans une décharge ou un terrain vague.
Le Mexique et le Guatemala, les cas les plus « célèbres »
A Ciudad Juarez, la capitale du féminicide
A Ciudad Juarez, ville à la frontière du Mexique et fief des narcotrafiquants, on tue les femmes parce qu’elles sont des femmes, en toute impunité. Depuis 1993, plus de 800 femmes ont disparu, plus de 500 corps ont été retrouvés. Et toujours pas de coupable. Certes, des suspects ont été arrêtés mais les crimes continuent. Quelques femmes militent contre le silence et l’inertie des pouvoirs publics, au péril de leur vie. En décembre, Marisela Escobedo a été abattue par un homme devant le palais du gouverneur, à Chihuahua, alors qu’elle manifestait pour demander justice pour l’assassinat de sa fille, tuée à Ciudad Juárez en 2008.
Au Guatemala, une violence endémique contre les femmes
On assassine aussi les femmes au Guatemala. Selon les statistiques des services du Procureur des droits humains, 695 femmes ont été tuées en 2010, ce qui porte à 4 400 au moins le nombre total de femmes victimes d’un homicide depuis 2004. Les tribunaux spéciaux instaurés en 2008 par la Loi contre le meurtre de femmes ont commencé à fonctionner dans la capitale en septembre 2010. En octobre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a accepté d’examiner le cas de Claudina Velásquez, une étudiante tuée en 2005 à l’âge de 19 ans. Cinq ans après sa mort, personne n’avait été poursuivi en justice et l’on pouvait nourrir les doutes les plus sérieux quant à l’efficacité de l’enquête[3]. Pour Claudia Samayoa, sociologue spécialisée en recherche criminelle, cette forme de violence ciblée n’est que le prolongement des années de guerre civile, pendant laquelle « la torture et le viol des femmes étaient des pratiques utilisées par les militaires pour museler l’opposition, jetant ainsi les bases d’une société qui extermine aujourd’hui ses femmes avec un sentiment d’impunité et de normalité effrayant[4] ».
Le féminicide dans le code pénal sud-américain ?
Le Chili, le Costa Rica, la Colombie, le Salvador, le Guatemala et le Mexique ont accordé une qualification spécifique au meurtre contre les femmes. Le 25 novembre dernier, le Pérou a intégré à son code pénal un nouveau crime : le féminicide. Selon la ministre de la femme péruvienne, Aida Garcia Naranjo, les meurtres de femmes commis par un conjoint ou ex-conjoint, un partenaire ou un ex-partenaire, pourront être qualifiés de féminicide, circonstance aggravante d’un homicide simple, qui entraînera une peine plancher de quinze ans de prison[5]. La Bolivie et le Nicaragua ont suivi l’exemple péruvien en adoptant peu après le crime de féminicide.
A lire notamment :
– FERNANDEZ Marc et RAMPAL Jean-Christophe, La ville qui tue les femmes. Enquête à Ciudad Juarez, Hachette, 2005.
– OCKRENT Christine, dir., Le livre noir de la condition des femmes, Points, 2006.
[1] Feminicidio sexual serial en Ciudad Juarez : 1993-2001, par la sociologue Julia Monarrez Fragoso, Debate Feminista, avril 2002.
[2] Marc Fernandez et Jean-Christophe Rampal, « Les meurtres de femmes au Guatemala », in Le livre noir de la condition des femmes, dirigé par Christine Ockrent, 2006, Points, p. 185.
[3] Rapport 2011 d’Amnesty International
[4] Manon Quérouil, « Le pays où on assassine les femmes », in Marie-Claire, 2009.
[5] « Le Pérou instaure le crime de féminicide » publié sur Le Monde.fr
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