La femme qui fuit : un roman à corps et à cris

Ottawa. 1933. Suzanne a quatre ans. Une française au milieu des Anglais. Exclue. Différente. Mais Suzanne déjà leur tient tête. Elle ne renonce pas. Elle veut exister dans cette famille catholique avec un père professeur au chômage depuis la crise de 1929 et une mère épuisée par les grossesses successives.

Suzanne ne veut pas de cette vie là. Elle veut vivre. Sur les conseils de son père, elle apprend à manier les mots pour gagner sa liberté.

Montréal. Suzanne a 18 ans. Elle participe à un concours oratoire. Là-bas, elle rencontre Claude Gauvreau, Marcel Barbeau, Paul-Emile Borduas. Ils forment le groupe des automatistes. Ils vont changer sa vie. Elle est à leur côté quand ils signent le Refus global, manifeste anti-établissement et anti-religieux devenu un texte fondateur mondialement connu.

Suzanne aime, créé, avec force, sans détour. Elle est d’ailleurs l’une des premières à utiliser après-guerre l’écriture automatique. Son recueil Aurores fulminantes sera publié des années plus tard.

En 1948, elle épouse le peintre Marcel Barbeau, ils ont deux enfants : Mousse et François. Mais Suzanne s’ennuie, son corps attire, possède, explose. Elle est enragée de vivre. Un matin, elle décide de tout quitter, même ses enfants. Elle les abandonne. Sans se retourner. Ça lui fait mal au bide, lui retourne les tripes. Pourtant, jamais elle ne les reprendra.

Suzanne part, fuit pour vivre, pour être libre, libre de penser et d’agir. Elle vit à Londres, à New-York. Elle va là où le vent la mène, entière, fracassante. Ses vies sont multiples. Suzanne se perd toujours un peu plus, survit.

Suzanne est explosive, enragée. Elle est révoltée et révoltante. Pourtant on ne la déteste pas. On fait corps avec elle, on souffre avec elle. On l’a dans la peau.

Suzanne Méloche, c’est la grand-mère d’Anaïs Barbeau-Lavalette, l’auteure du roman La femme qui fuit. Elle ne l’a pas connue. Pour remonter le fil de l’histoire, elle a engagé une détective privée et écrit à partir d’indices dégagés et de témoignages. Ce roman biographique sort de l’oubli cette grand-mère restée en marge de l’histoire.

Les mots d’Anaïs Barbeau-Lavalette sont d’une intensité rare. Ils vous prennent à la gorge, vous font mal, vous bouleversent. C’est fort, c’est beau… on lit ce roman sans s’arrêter pour tenter de saisir cette femme qui fuit. Sa petite-fille nous confie, à travers le portrait sans concession de celle qui blessa sa mère à tout jamais, une réflexion sur la liberté, la filiation et la création.