Le viol, arme de guerre

A l’occasion de la sortie du livre Les viols en temps de guerre qui éclaire la place et le sens de la violence sexuelle et sexuée dans les violences de guerre, il est important de rappeler que le viol est utilisé depuis des décennies comme une arme de destruction massive dont les femmes sont les premières victimes. Des destins brisés dont on parlait pas ou si peu il n’y pas si longtemps. Mais quelle réalité se cache derrière ce phénomène ?

Sujet toujours tabou, les viols se comptent par millions dans le monde. Une réalité mondiale, vécue par des millions de femmes. « Le risque de viol est dans l’esprit de toute femme, sous toutes les latitudes et à tous les âges[1] ». Qui peut se prétendre d’en être protégé ? Personne. Aux Etats-Unis, 700 000 femmes sont violées ou victimes d’autres formes d’agressions sexuelles chaque année. 14,8% de ces femmes ont moins de 17 ans. En Afrique du Sud, 1 500 000 viols ont lieu chaque année. En temps de guerre, le viol devient « une arme de destruction massive ». Pratiqués à grande échelle afin de terroriser, d’humilier et d’anéantir une population et sa descendance, les viols collectifs sont devenus «une sorte d’invariant universel de toutes les guerres contemporaines – des guerres médiatisées et surtout des « guerres oubliées »[2] ».

Et le phénomène n’est pas nouveau. Entre 1942 et 1945, environ 17 000 femmes ont été victimes de viols, commis par des soldats américains en Angleterre, en France et en Allemagne. Au moment de la chute du IIIe Reich, 2 millions d’allemandes auraient été violées par l’armée soviétique. On estime également que, sur l’ensemble des territoires asiatiques conquis pendant la Seconde guerre mondiale par l’armée impériale nippone, plus de 200 000 femmes et jeunes filles ont servi d’esclaves sexuelles. Cinquante ans après, 20 000 à 50 000 femmes ont été violées en Bosnie durant les cinq premiers mois de la guerre en 1992, record macabre. Au Rwanda, durant le génocide de 1994, en 90 jours, entre 250 000 et 500 000 femmes ont été violées, et on recense plus de 15 000 grossesses forcées. Parmi les femmes qui ont survécu au génocide, 80 % ont été violées et plus de la moitié de ces dernières ont été infectées par le virus du sida. Pour ces femmes, il est souvent impossible de prétendre à des soins médicaux et à une réparation en justice. Les enquêtes menées, par exemple, dans l’ex-Yougoslavie, dans le nord de l’Ouganda, dans l’est du Congo et en Inde ont démontré que la plupart des victimes de viol ne parlent pas par crainte d’être stigmatisées par la société ou repoussées par leur mari.

Jusqu’à la veille du 21e siècle, les viols de guerre étaient considérés comme des dégâts collatéraux et bénins de tout conflit armé. Dès lors, pourquoi indemniser ? Il fallut attendre le 1er septembre 1998 pour qu’une révolution juridique universelle ait lieu. Ce jour-là, pour la première fois, la violence sexuelle dans un conflit armé fut qualifiée d’acte criminel par une instance pénale internationale, et le viol d’acte génocidaire destiné à détruire un groupe d’individus. Jean-Paul Akayesu, quarante-cinq ans, marié et père de cinq enfants, ancien maire de Taba au Rwanda, fut le premier homme à être reconnu coupable de violences sexuelles par un tribunal pénal international.

Ce qui n’a évidemment pas empêché les viols de se poursuivre malgré les sanctions pénales. En Birmanie, depuis le mois de mars, l’armée est engagée dans des combats contre les minorités ethniques des Etats du nord du pays et selon les informations recueillies par l’ONG « Info Birmanie », les affrontements qui se déroulent actuellement dans les Etats Shan et Kachin sont marqués par des viols systématiques commis par les soldats de l’armée nationale contre les femmes appartenant à ces communautés. Les corps des femmes continuent d’être utilisés comme des champs de batailles, profanés, niés… En parler, c’est ne pas les oublier.

Pour aller plus loin, je vous conseille le livre paru le 2 novembre dernier chez Payot, Les viols en temps de guerre, dirigé par Raphaëlle Branche et Fabrice Virgili. Dans son numéro de juillet-août, le magazine Causette a consacré à ce sujet un reportage sur « les stigmates infinis des femmes de Bosnie ». Un autre ouvrage documenté et mettant en lumière les mécanismes de cette arme de destruction massive a été publié en 2005 aux éditions du Serpent à Plumes : La Profanation des vagins de Boyla.


[1] Sandrine Treiner, « Les viols dans le monde », in Le livre noir de la condition des femmes, dir. Christine Ockrent, Points, p. 229.

[2] BOLYA, La Profanation des vagins. Le viol, arme de destruction massive, Le Serpent à plumes, 2005, pp. 19-20.