« Gabriële » d’Anne et Claire Berest

Musicienne, épouse de Francis Picabia, maîtresse de Marcel Duchamp et amie de Guillaume Apollinaire, Gabriële Buffet avait un don : celui de découvrir les génies et de se mettre à leur service. Cette femme avant-gardiste joua un rôle central dans l’histoire de l’art du début du 20e siècle. Elle resta pourtant longtemps dans l’ombre. Ses arrière-petites-filles, Anne et Claire Berest, lui consacre un livre. Pour mieux reconstituer une histoire familiale douloureuse et méconnue. Et mettre fin au silence.

Gabriële Buffet-Picabia fut l’une des rares femmes à étudier à la Schola à Berlin. Cette musicienne talentueuse, attachée à son indépendance – elle ne voulait ni se marier ni avoir d’enfant – décida pourtant en une nuit de renoncer à ses rêves. Nous sommes en 1908 ; Gabriële a 27 ans. Elle vient de rencontrer Francis Picabia. Elle va devenir le cerveau de sa peinture et le guider vers l’abstraction.

Car Gabriële Buffet-Picabia avait un don : celui de reconnaître le talent ! Igor Stravinksi, Jean Arp, Francis Picabia, Marcel Duchamp qu’elle rencontra alors qu’il n’avait que 24 ans, ou encore Elsa Schiaparelli dont elle fit la connaissance sur un paquebot à destination de New York et à qui elle fit rencontrer le couturier Poiret… Tous lui doivent beaucoup ! Elle fut une reine. Et même un roi. Jean Arp écrira de Gabriële cette très belle définition : « Gabrielle est un roi. Gabrielle est une reine. Elle aime l’envoutement. Même prise dans une toile d’araignée, elle reste claire comme le jour ». Elle joua un rôle central dans l’histoire de l’art. Pourtant Gabriële Buffet fait partie de ces rares personnes qui se retire de l’histoire, pour s’effacer en minimisant son rôle auprès des artistes.

Mais jamais Gabriële n’eut le sentiment de faire des sacrifices. Elle fut une femme libre et indépendante. « J’étais comme un homme. Je ne voulais pas restreindre ma vie. J’ai toujours vécu ma vie comme une aventurière, en m’autorisant des choses que les autres ne s’autorisent pas. J’aurais voulu beaucoup plus voyager. J’ai parfois été frustrée de ne pas vivre les aventures que je voulais vivre – alors j’ai vécu des aventures à l’intérieur des relations que j’avais avec les gens. »

Une chose reste un mystère pourtant chez les Picabia : la relation à leurs enfants. Gabriële et Francis eurent quatre enfants confiés tour à tour à des nounous, de la famille ou envoyés en pension. Bref, des enfants encombrants auxquels ils ne s’intéressèrent guère ! Vincente, le benjamin, se donna la mort à 27 ans, laissant derrière lui une fillette, Lélia Picabia, qui tira un trait sur cette histoire familiale douloureuse. Malgré ce nom prestigieux, Anne et Claire Berest, ses filles, découvrirent en effet tardivement qu’elles étaient les arrière-petites-filles de Gabriële. Elles décidèrent de remonter le temps pour mieux comprendre leur histoire en consacrant un livre à Gabriële Buffet-Picabia. Une femme brillante, moderne à la vie romanesque et un destin hors du commun !

Anne et Claire Berest, Gabriële, Le livre de poche, 2018.