Pendant des années, Mouammar Kadhafi a donné le change, allant jusqu’à se faire passer pour une chef d’Etat africain féministe. « Nous avons décidé de libérer totalement les femmes en Libye pour les arracher à un monde d’oppression et d’assujettissement de manière à qu’elles soient maîtresses de leur destinée… », affirmait-il le 1er septembre 1981, jour anniversaire de la révolution, alors qu’il présentait au monde les premières diplômées de l’Académie militaire des femmes. Beaucoup ont été dupes, d’autres savaient mais n’ont rien dit, de peur des représailles.
Quarante-deux ans de règne placés sous le signe de la terreur. L’arme de Mouammar Kadhafi : le sexe ! Ce dictateur sans limite fut toute sa vie un prédateur, un fou, un malade, un barbare qui abusa, viola, humilia, tortura des centaines de femmes. Les Libyennes furent les premières à en payer le prix fort. Ces crimes, c’est la journaliste Annick Cojean qui en révéla la monstruosité dans un article publié dans Le Monde en novembre 2011. Nous fûmes atterrés, traumatisés, sans voix.
Mort, Mouammar Kadhafi ne répondra jamais de ses actes devant une cour pénale, laissant ses victimes disparaître avec leur secret, leur douleur, leur sentiment d’injustice. Des vies sacrifiées, oubliées, brisées… Annick Cojean ne pouvait en rester là. Elle décida de mener l’enquête, là-bas, en Libye, au cœur de l’enfer pour dénoncer ce que les Libyennes ne pouvaient crier haut et fort : l’existence d’un harem dans les sous-sols humides de Bab al-Azizia, la demeure de Kadhafi où il y séquestra et viola pendant plusieurs années des jeunes filles devenues ses esclaves sexuelles.
La journaliste a réussi à rencontrer quelques-unes de ces femmes, en particulier la courageuse Soraya qui a accepté de raconter son histoire. Un témoignage édifiant, traumatisant ! Livrée au Maître alors qu’elle n’avait que quatorze ans, la jeune fille a subi les pires sévices, les pires humiliations pendant près de dix ans, jusqu’à ce que la révolution mette fin à son calvaire. Depuis, elle se cache, détruite à seulement 23 ans, priant pour ne pas être assassinée dans un pays où une femme violée n’a pas droit de cité. Certaines ont réussi à fuir la Libye, d’autres se terrent espérant ne pas être démasquées, beaucoup sont devenues prostituées.
Des destinées auxquelles il était difficile d’échapper tant le système Kadhafi était bien rodé. Ce prédateur avait sa troupe de rabatteurs au sein de laquelle une femme toute-puissante et sans pitié, Mabrouka Sherif. Sa mission : alimenter en permanence le Maître en « chair fraîche ». Les filles étaient repérées dans les écoles, lors des mariages, dans la rue puis enlevées et séquestrées dans les sous-sols de la résidence de Kadhafi. De jour comme de nuit, elles pouvaient être appelées par le dictateur.
Les proches du Maître et des membres de son gouvernement savaient, des chefs d’Etat africains et des diplomates occidentaux aussi. Il abusa des filles… mais aussi des hommes, tabou suprême en Libye. Mouammar Kadhafi violait, même ses ministres afin de les tenir sous sa coupe, à sa merci, totalement dévoués. Il dominait par le sexe. « Prendre les femmes revient à dominer les hommes. Le sexe était son arme de pouvoir. Du Viagra était même distribué dans l’armée pour encourager les viols. Kadhafi était un grand malade. Il voulait assouvir ses fantasmes les plus fous. Il n’avait aucune limite. Ce qui s’est passé est très grave. Des milliers de femmes ont été violées par lui ou par ses hommes », raconte Annick Cojean dans une interview donnée à Paris Match.
Depuis, la Libye a fait sa révolution ; les femmes y ont participé activement. Elles ont manifesté, distribué des tracts, pris la parole. Elles ont soutenu les rebelles. Mais au lendemain de la victoire, le Conseil national transitoire (CNT) ne comptait qu’une seule femme. Très vite, Moustapha Abdeljalil, son président, a annoncé que le CNT adoptait « la charia islamique comme source du droit ». De quoi mettre fin en quelques secondes aux espoirs d’émancipation des Libyennes.
Aujourd’hui, le Congrès national Libyen compte 33 femmes sur 200 membres, un premier pas. Les Libyennes ont encore beaucoup de chemin à parcourir mais elles n’abandonnent pas, décidées à se battre et à gagner leur liberté. Leur révolution ne fait que commencer.
Le livre d’Annick Cojean devrait bientôt sortir en Libye. Suffira-t-il pour permettre aux langues de se délier dans un pays où le viol est un sujet tabou, jetant le déshonneur sur toute une famille et mettant en danger de mort la victime.