Film, exposition, anthologies, objets à son effigie… 2017 a été l’année Wonder Woman. Sous le feu des projecteurs, la super-héroïne a pris sa revanche sur ses homologues masculins et envoyé un message fort aux femmes : « Soyez comme moi, soyez moi ! » Injonction séduisante alors que la charge mentale fait de nous des femmes épuisées mais résistantes, convaincues d’être au quotidien des héroïnes des temps modernes, combattant sur tous les fronts. Alors oui, nous avons toutes un peu de Wonder Woman en nous. Mais cette icône féminine est-elle vraiment féministe ? Peut-elle être encore un rôle modèle pour les femmes ?
Wonder Woman, une voix féministe
Quand Wonder Woman débarque sur terre au début des années 1940 en Amérique, il y a fort à parier qu’elle heurte les conventions d’un pays où la place des femmes est encore derrière les fourneaux. D’autant que la super-héroïne n’est pas là pour jouer les seconds rôles. Cette princesse amazone, façonnée dans de l’argile par la Reine Hippolyte, est venue sur terre pour rétablir l’ordre et la justice. Une mission à la hauteur de son statut d’héroïne qu’elle doit pourtant à un homme : William Moulton Marston (1893-1947). Ce psychologue renommé, passionné de comics et de bondage, convaincu que les femmes devraient gouverner les hommes et que ces derniers ne pourraient être pleinement heureux qu’en se soumettant à une domination bienveillante, donne vie à la première super-héroïne.
Son créateur hors-norme s’est d’ailleurs certainement nourri de son style de vie peu conventionnel pour l’époque pour créer le personnage de Wonder Woman. Marié à Elizabeth Holloway, penseuse féministe avec qui il aura deux enfants, William Moulton Marston s’éprend également d’Olive Byrne, rencontré alors qu’elle est étudiante dans les années 1920. La jeune femme emménage avec le couple ; elle aura deux enfants. En Wonder Woman, il y a un peu d’Elizabeth et un peu d’Olive. Elles ont été ses muses. Ainsi, l’histoire de Wonder Woman est inspirée de la mythologie grecque, thème cher à Elizabeth Marston. D’autre part, l’héroïne a les cheveux noirs et porte de lourds bracelets métalliques aux poignets, référence à Olive Byrne qui a porté pendant des années des bracelets indiens.
C’est en décembre 1941 que Wonder Woman fait ses débuts dans All Star Comics. Le succès est immédiat. Les Américaines, alors mobilisées par l’effort de guerre, s’identifient à elle, d’autant que son créateur a donné d’emblée à son héroïne une voix féministe : « Wonder Woman, c’est de la propagande psychologique pour le nouveau type de femmes, qui selon moi, devraient mener le monde! », a-t-il écrit. William Moulton Marston disait aux femmes, vous pouvez être sur un pied d’égalité avec les hommes. Deux ans plus tard, Wonder Woman peut se vanter de rassembler 10 millions de lecteurs.
La super-héroïne a également inspiré Alice Marble qui créa la série Wonder Women of History, surfant sur le succès de Wonder Woman et des Comics. Le concept : raconter l’histoire vraie d’une femme qui a laissé une trace dans l’histoire : Florence Nightingale, Jeanne d’Arc, Helen Keller… De 1942 à 1954, ces récits de cinq pages ouvre la série de bandes dessinées américaines, Sensation Comics, publiée par DC Comics et dont la vedette est Wonder Woman. Chaque Wonder Women of History est d’ailleurs signée Diana Prince.
Mais à la mort de son créateur, en 1947, Wonder Woman perd ses valeurs féministes pour retrouver un rôle plus traditionnel alors que les Américaines, une fois la guerre terminée, ont retrouvé leur place au foyer, aux côtés de leurs maris. Celle qui symbolisait l’émancipation féministe avant l’heure devient une héroïne insipide cantonnée à vivre des histoires fleur bleue. En 1961, Wonder Woman remporte même le prix du pire Comic book publié. C’est dire…
Vous pouvez être ce que vous voulez !
Il va falloir attendre 25 ans pour que Wonder Woman revienne sur le devant de la scène féministe. D’abord grâce à Gloria Steinem, féministe américaine et journaliste. En 1972, année d’élections présidentielles aux Etats-Unis, elle et les confondateurs de Mme Magazine décident de la mettre en couverture de leur premier numéro, avec comme slogan « Wonder Woman for President ». Exactement la même couverture d’un numéro de Wonder Woman publié en 1943.
Le regain d’intérêt pour la super-héroïne se poursuivit avec la série éponyme de 1975. Pour Lynda Carter qui a décroché le rôle titre, Wonder Woman est audacieuse, puissante et belle ; elle est habile, a confiance en elle et courageuse. Dans les années 1970, les épisodes de Wonder Woman disaient aux femmes « Vous pouvez être ce que vous voulez ».
Wonder Woman, princesse amazone insoumise
En ancrant les origines de Wonder Woman dans la mythologie grecque, William Moulton crée un personnage de femme forte, guerrière, indépendante. Une femme puissante ! Car Wonder Woman, de son vrai nom Diana, référence à la déesse de la chasse, est la fille d’Hippolyte, reine des Amazones. Ces immortelles vivent en exil volontairement loin du monde des Hommes sur l’île paradisiaque de Themyscira. Selon la mythologie grecque, ce sont un peuple de femmes guerrières issu de l’union entre Arès, Dieu de la guerre, et la nymphe Harmonie. Elles ne vivent qu’entre femmes et élèvent leurs filles pour en faire des combattantes et des chasseresses.
Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale pour que les Amazones renouent avec le monde extérieur, celui des Hommes. L’élément déclencheur ? Le crash de Steve Trevor, pilote de l’Air Force, sur l’île de Themyscira. La reine Hippolyte décide qu’une des leurs, la meilleure, devra le reconduire chez lui après sa guérison. Elle organise une série de défis pour désigner l’ambassadrice amazone. C’est le célèbre « tournoi » imaginé par William Marston, élément clé des origines de Wonder Woman.
Diana, sa fille, qui s’entraine depuis toute jeune, souhaite participer au tournoi mais sa mère refuse, de peur de la perdre. Mais la princesse désobéit et c’est masqué qu’elle évince une à une ses adversaires et remporte le tournoi, à l’issue de la fameuse épreuve des balles et des bracelets. Quand elle révèle son identité à la foule, la reine Hippolyte n’a plus d’autre choix que de la laisser partir pour accomplir son destin. Diana devient donc une super-héroïne par nécessité quand Superman doit son statut de héros au hasard et Batman à son entraînement physique.
Avec l’épisode du tournoi, William Moulton met en avant la capacité des femmes à être de vraies guerrières. Dans un numéro de The American Scholar daté de 1943, il écrit : « Même les filles ne veulent pas être des filles, pas tant que nos archétypes féminins manqueront de force, de puissance et de pouvoir. Ne voulant pas être des filles, elles ne veulent pas être tendres, soumises, pacifiques et aimantes, comme elles devraient l’être. Les grandes qualités des femmes sont négligées à cause de leur faiblesse. Le remède évident consiste à créer un personnage féminin nanti de la force de Superman, mais aussi du charme d’une femme belle et honnête ».
Et c’est armé que Wonder Woman va rejoindre le monde des Hommes. Tout d’abord avec les fameux bracelets dont on dit qu’ils auraient été forgés dans l’amazonium, un métal très dense et suffisamment solide pour faire ricocher les balles. Si ces bracelets sont une arme très puissante, ils sont le symbole également de la soumission. En effet, quand les Amazones rejoignirent l’île de Themyscira pour vivre sans les hommes, Aphrodite exigea que les femmes n’enlèvent jamais ces bracelets de métal que les hommes leur avaient imposé, afin de ne jamais oublier ces jours de soumission. Sur son front, Wonder Woman porte une tiare dorée ornée d’une étoile rouge, symbole de son rang sur l’Ile. Au fil des ans, le bijou va être utilisé comme un boomerang ou un instrument tranchant. Enfin, la super-héroïne possède le célèbre lasso de vérité aux propriétés magiques. Quand on sait que son créateur a participé à l’invention du détecteur à mensonge, nous ne sommes pas étonné qu’il ait inventé une telle arme.
Stéréotypes et hypra-sexualisation
Mêmes motivations, des pouvoirs, des origines mythiques, des costumes aux couleurs identiques… Wonder Woman est le pendant de Superman. Mais, allez savoir pourquoi, la super-héroïne a toujours été vêtue beaucoup plus légèrement que son alter-ego masculin. Pas de combinaison intégrale. Wonder Woman est habillée sexy : bustier, mini short et bottes à talon, ce qui pose tout de même la question de la praticité de ce costume lors des combats. Elle a également pâti des dessinateurs – on notera qu’il n’y a pas eu de femmes – qui se sont attaqués à elle : au fur et à mesure, son corps a été de plus en plus érotisé, sculpté, voire bodybuildé.
William Moulton, fan de bondage, n’hésite pas non plus à mettre en scène une Wonder Woman attachée ou ligotée. Ces représentations évoquent une certaine soumission de la super-héroïne, supposée être la voix féministe de l’époque. Son créateur n’hésite pas à déclarer d’ailleurs: « Le confinement est, pour Wonder Woman et les Amazones, une activité sportive témoignant de la joie d’être soumises. Car voilà la grande contribution de ma bande dessinée à l’éducation morale de la jeunesse. Le seul espoir de paix est de constater que des gens pleins d’énergie insoumis apprécient d’être asservis. Les femmes sont passionnantes pour cette unique raison. C’est le secret de leur charme, elles savourent la soumission. C’est d’ailleurs ce que j’illustre dans les scènes situées sur l’Ile du Paradis quand les filles implorent de porter des chaînes ». Difficile d’imaginer qu’il pourrait tenir de tels propos aujourd’hui.
Wonder Woman reste également soumise à l’ordre masculin. Lorsqu’elle quitte son île natale, c’est pour mettre ses talents au service de l’Oncle Sam. Dans la série des années 1970, elle dépend d’un mentor chinois. Et les métiers qu’elle exerce sont stéréotypés. Auprès de Steve Trevor, elle joue les infirmières. Au sein de la Justice League of America, elle est cantonnée au secrétariat.
La fin d’une icône féministe ?
En 2017 donc, tous les espoirs étaient permis. Enfin allait sortir le premier film consacré à une super-héroïne, et ledit film allait être réalisé par une femme. Wonder Woman ne pouvait – était-on en droit d’imaginer – que redonner à l’héroïne son essence féministe. Des espoirs déçus. Ennuyeux, creux et plutôt mal joué, le film Wonder Woman est davantage un coup marketing qu’un film féministe. Pourtant, les débuts du film sont plutôt prometteurs. On y découvre l’enfance de Diana sur l’Ile des Amazones, femmes guerrières vivant loin du monde, loin des hommes. Très tôt, Diana manifeste son envie d’apprendre à se battre, à combattre. C’est sa tante qui va l’accompagner dans son apprentissage et la transformer en véritable guerrière. L’image est intéressante et a de quoi donner envie aux petites filles d’affirmer leurs personnalités et de ne pas s’enfermer dans les stéréotypes de genre. Malheureusement, le scénario faiblit quand Diana rejoint le monde des hommes, en plein Première Guerre Mondiale, pour affronter et tuer Arès, le dieu de la guerre. Hormis sa puissance physique et le fait d’être polyglotte, Wonder Woman, interprété par Gal Gadot, est plutôt nunuche et naïve. Tout au long du film, elle dépend des hommes qui la guide, lui apprenne à se comporter. Nous sommes bien loin de l’icône féministe créée par William Moulton.
Sources :
- Collectif, PI-DC Comics, Wonder Woman, Taschen, 2015.
- Robert Greenberger, Tout l’art de Wonder Woman, Urban Comics, 2017.
- Collectif, Wonder Woman Anthologie, Urban Comics, 2016.
- Le blog Super héros sur le divan