Le Nobel de la Paix était féminin cette année puisque le jury a décerné cette distinction à trois porte-paroles de la lutte pour les droits de la femme : les libériennes Ellen Johnson Sirleaf, Présidente actuelle du Liberia, et Leymah Gbowee, responsable du mouvement pacifiste Women of Liberia Mass Action for Peace, et la yéménite Tawakkul Karman, activiste de la défense des droits de l’homme et fondatrice du groupe Femmes journalistes Sans Chaines.
Ce prix, a déclaré le président du jury, Thorbjoern Jagland, récompense « la lutte non-violente en faveur de la sécurité des femmes et de leur droit à participer aux processus de paix. Nous ne pourrons pas établir la démocratie et une paix durable dans le monde sans que les femmes aient les mêmes possibilités que les hommes d’influencer le développement de la société à tous les niveaux ».
Première femme à être élue démocratiquement à la tête d’un pays africain en 2005, Ellen Johnson Sirleaf trouve le Libéria dans un état lamentable. Quatorze années de guerre civile (1989-2003) ont laissé le pays sans services publics, sans infrastructures, sans entreprises. Intellectuels, ingénieurs, médecins, hommes d’affaires ont quitté le pays après l’arrivée au pouvoir de Samuel Doe en 1980 alors que celui-ci fait assassiner tout le gouvernement en public et instaure un régime de terreur. Charles Taylor, son successeur, au pouvoir entre 1997 et 2003, ne fera guère mieux.
Au final, le bilan est lourd : 250 000 victimes, près de 100 000 enfants soldats embrigadés de force par les factions rebelles, 80% de femmes violées pendant la guerre.
Alors quand Ellen Johson-Sirleaf arrive au pouvoir, tout est à construire, à refaire. Il faut repartir de zéro. Si le travail est titanesque, la nouvelle présidente, surnommée depuis la « dame de fer », s’attèle à la tâche. Issue de l’élite américano-libérienne, cette économiste de formation, diplômée de Harvard, a de l’expérience. « Avant d’être une femme, je revendique mon expérience professionnelle de la politique », confie-t-elle à Marie-Claire en 2008.
Ministre des Finances dans les années 1960 et 1980, elle doit quitter le pays quand William Tolbert est destitué par Samuel Do. Elle s’exile alors à Nairobi puis Washington où elle poursuit une carrière de banquière, puis de haute fonctionnaire internationale aux Nations Unies et à la Banque mondiale.
Quand elle accède au pouvoir, un de ses objectifs est d’effacer la dette et d’attirer les investisseurs pour la reconstruction de son pays. Pour atteindre ce but, Ellen Johnson commence par lutter contre la corruption. Elle s’engage également à désarmer et surtout à réintégrer les enfants soldats qui n’ont connu que la guerre, la violence, la barbarie. L’école primaire devient obligatoire et gratuite. Elle prend plusieurs mesures en faveur des droits des femmes dont une loi contre le viol, crime alors impuni au Libéria.
Et si le choix d’Ellen Johson-Sirleaf, à quatre jours des élections présidentielles au Libéria, a été perçu comme une manœuvre politique destinée à favoriser sa réélection, elle ne reste pas moins celle qui a tenté l’impossible : relever un pays, redonner de la dignité et de l’espoir à ses habitants.
A ses côtés, une autre libérienne a été récompensée : Leymah Gbowee, surnommée « la guerrière de la paix ». Cette militante pacifiste utilise la prière pour changer le monde. Pendant la guerre civile, Leymah Gbowee appelle les femmes à prier pour la paix, quelque soit leur religion, et milite pour que les femmes jouent un rôle en politique. Une des actions phare est la grève du sexe qu’elle organisa en 2003, à la fin de la guerre, afin que les voix des femmes soient prises en compte. Charles Taylor finit par céder et les inclut au processus de paix.
A 39 ans, Leymah Gbowee, qui vit aujourd’hui au Ghana, vient d’écrire Que nos pouvoirs soient puissants : comment la communauté de femmes, la prière et le sexe ont changé une Nation en guerre, son autobiographie.
Enfin, le printemps arabe a attiré cette année tous les regards et favorisé les spéculations. Certains misaient sur l’égyptienne Esraa Abdel Fattah, l’une des fondatrices du Mouvement de la Jeunesse du 6 avril ou sur la tunisienne et bloggeuse, Lina Ben. C’est finalement une figure de la révolution yéménite qui s’est vu décerné le Prix Nobel de la Paix : Tawakel Karman. Cette journaliste de 32 ans est la première femme arabe à recevoir une telle distinction. En 2005, elle a fondée l’organisation Femmes journalistes sans chaines, qui défend les droits de l’homme et la liberté d’expression. Depuis 2007, elle lutte contre le pouvoir du président Ali Saleh, en place depuis 1978.
Les femmes et le Nobel de la Paix
Jusqu’au 7 octobre dernier, seulement 12 femmes avaient reçu le Nobel de la Paix en 110 ans. Parmi elles, Mère Teresa en 1979, Aung San Suu Kyi en 1991, Rigoberta Menchù en 1992, Chirine Ebadi en 2003 et Wangari Muta Maathai en 2004.
* Le titre de l’article est tiré du libre de Marie N’Diaye, Trois femmes puissantes.