Le Grand Palais propose jusqu’au 2 février 2015 la plus grande exposition consacrée à l’artiste depuis vingt ans. De la série des Tirs à celle des mariées, des Nanas imposantes aux sculptures monumentales, la scénographie de cette exposition est à la hauteur de Niki de Saint Phalle (1930-2002) qui fut l’une des premières artistes féministes. Avec elle, la femme devient sujet, sujet qu’elle traite dans sa complexité : à la fois victime de l’enfermement dans sa condition féminine et héroïne potentielle d’un monde à inventer.
S’affranchir de son milieu social
« Enfant, je ne pouvais pas m’identifier à ma mère, à ma grand-mère, à mes tantes ou aux amies de ma mère. Un petit groupe plutôt malheureux. Notre maison était étouffante, un espace refermé avec peu de liberté, peu d’intimité. Je ne voulais pas devenir, comme elles, les gardiennes du foyer, je voulais le monde et le monde appartenait alors aux hommes (…). Je n’accepterais pas les limites que ma mère tentait d’imposer à ma vie parce que j’étais une femme. Non. Je franchirais ces limites pour atteindre le monde des hommes qui me semblait aventureux, mystérieux, excitant. » Ce qu’elle fait dès l’âge de 19 ans en épousant en cachette le poète Harry Mathews et en partant s’installer en 1952 à Paris.
Feu !
Constatant l’absence de modèles féminins auxquels s’identifier, Niki de Saint Phalle décide d’être une héroïne et de créer un univers visuel qui ne se contente pas de représenter la femme mais questionne aussi sa place dans le monde. L’émancipation de la femme devient un sujet central de son travail d’artiste, comme un objectif.
Les Tirs, série qu’elle attribue à un chagrin sentimental, ont un rôle cathartique pour l’artiste. « En 1961, j’ai tiré sur : papa, tous les hommes, les petits, les grands, les importants, les gros, les hommes, mon frère, la société, l’Eglise, le couvent, l’école, ma famille, ma mère, tous les hommes, papa, moi-même. Je tirais parce cela me faisait plaisir et que cela me procurait une sensation extraordinaire. Je tirais parce que j’étais fascinée de voir le tableau saigner et mourir. »
Les rôles féminins
De retour des Etats-Unis en 1963, Niki de Saint Phalle met fin aux Tirs pour mener un travail autour des rôles féminins. « De la provocation, je passai à un monde plus intérieur, plus féminin. Je me mis à sculpter des mariées, des accouchements, des putains, ces rôles variés que les femmes ont dans la société. » Des représentations féminines qui frappent par leur radicalité et leur ambivalence ; d’une œuvre à l’autre, on peut voir aussi bien l’enfermement que la joie, l’asservissement que la puissance créatrice.
Une manière de déranger, de changer les codes visuels et d’affranchir la femme des règles sociales qui lui sont alors imposées. « Le mariage, c’est la mort de l’individu, c’est la mort de l’amour. La mariée, c’est une espèce de déguisement. Cette femme, sous l’arbre, elle est morte, elle est asexuée. C’est même pas une femme. C’est une pensée ou un zombie. (…) Le symbole de ces mariées mortes, c’est une nouvelle vie (…) Je pense que nous allons arriver à un nouvel état social. Le matriarcat quoi. »
Nana power
« Après les Tirs, la colère est partie, mais restait la souffrance ; puis la souffrance est partie et je me suis retrouvée dans l’atelier à faire des créatures joyeuses à la gloire des femmes. » Les nanas envahissent alors son atelier avant d’être montrées à Paris à l’automne 1965 à la galerie Iolas, où elles font sensation. Le visage des nanas importe peu ; c’est leurs corps qui parlent : plantureux, arrondis, asymétriques parfois, à l’opposé des stéréotypes véhiculés par les magazines féminins. Ces nanas sont grandes, très grandes « parce que les hommes le sont, et qu’il faut qu’elles le soient davantage pour pouvoir être leurs égales ».
Les Nanas de Nikki de Saint Phalle accompagnent en France la mouvement de libération des femmes. C’est en 1965 que la loi permettant à la femme de travailler sans l’accord de son mari, de gérer ses biens librement, notamment en ouvrant un compte en banque à son nom, est promulguée, l’année de naissance des Nanas. Deux ans plus tard, juste après la fermeture de son exposition à Amsterdam intitulée « Les Nanas au pouvoir », est votée la loi Neuwirth qui autorise l’usage des contraceptifs. Devenues des porte-paroles, elles investissent l’espace public, médiatique mais aussi le spectacle vivant.
Les femmes maisons
En 1966, Nikki crée une Nana monumentale qui va être exposée pendant quelques semaine à Stockholm : « C’est une sculpture gigantesque, la plus grande femme du monde (…) elle est une cathédrale, une usine, une baleine, l’arche de Noé maman. Elle fut aussi la plus grande putain du monde ». Cette Nana maison inaugure une série de sculptures monumentales qui prennent place dans les jardins.
Mères dévorantes
En 1970, l’artiste inaugure une série qui succède aux joyeuses Nanas : les mères dévorantes. « Lorsque je fis la série de sculpture que j’appelai « Les mères dévorantes », Maman m’interrogea : « Chérie, j’espère que ce n’est pas moi ? » Je lui répondis par un mensonge : « Oh, non pas du tout ! Puis je commençais à réfléchir : nous sommes toutes des mères dévorantes. Maman m’a dévorée et moi à mon tour je dévore mes enfants ».
A voir :
Niki de Saint Phalle s’esprime sur son art (1965)
Le sens des « Nanas » (1972)
Source :
- L’album de l’exposition de Camille Morineau, commissaire de l’exposition.
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