Enlèvement et mariage forcé au Kirghizistan : la loi se durcit

Mettre enfin un terme au rapt des fiancées, c’est le signe envoyé par le Président kirghize le 26 janvier dernier en approuvant une loi qui renforce les peines associées à cette tradition. Est-ce que ce sera suffisant ? Rien n’est moins sûr. Interdit depuis 1994, le mariage par enlèvement est une coutume ancestrale au Kirghizistan qui toucherait encore une jeune fille sur trois.

« J’étudiais le commerce international à l’Institut de la Coopération et du Commerce de Bichkek. Comme j’étais une des meilleures étudiantes de ma promotion, j’avais obtenu une bourse et un billet d’avion pour aller poursuivre mes études à Samarcande à la rentrée ». Mais la vie d’Aïnura, fille d’un haut dignitaire de la région de Naryn, bascule l’été de ses vingt ans quand de retour dans son village natal pour les vacances, elle est kidnappée pour être mariée de force. L’histoire d’AÏnura n’est malheureusement pas isolée. On estime que cette pratique traditionnelle, appelée en kirghize Ala Kachuu – littéralement « prendre et s’enfuir » – toucherait encore une jeune fille sur trois. Profondément ancrée dans la société kirghize puisqu’elle remonterait au temps du nomadisme, cette coutume est si forte que les jeunes filles, qu’elles soient originaires des campagnes ou des villes, quelque soit leur niveau d’éducation, finissent toujours par s’y plier.

La manière d’enlever les jeunes filles est souvent la même : la jeune fille, attirée par un garçon ou une femme, vers une voiture est ensuite jetée de force à l’intérieur puis emmenée vers la maison du garçon. Séquestrée, on fait pression sur elle pour qu’elle accepte le mariage et ne s’enfuit pas. C’est ce qui est arrivé à Tcholpon, originaire également de Naryn, chef-lieu de la région où 95% des femmes seraient enlevées pour être mariées. Elle a été enlevée alors qu’elle étudiait à l’école normale pour devenir institutrice. Tombée dans un piège, elle vit aujourd’hui loin de siens et a dû renoncer à ses rêves. Le jour de son enlèvement, une femme, une tante de son futur mari, se présente à l’école et la fait demander alors qu’elle est en cours. « C’est bien toi Tcholpon B. ? C’est moi. Je t’apporte des provisions de la part de tes parents. Suis-moi, c’est dans la voiture ». La jeune fille ne se méfie pas. « Je ne me doutais pas que je serais enlevée ». La femme fait semblant de chercher quelque chose dans l’habitacle. Et c’est alors que surgissent trois hommes qui poussent la jeune fille à l’intérieur du véhicule. « Je paniquais, je me cramponnais au volant, je jetais par la fenêtre les petits coussins qui se trouvaient autour de moi ».  Mais ils la maintiennent fermement, chacun par un bras et c’est ainsi qu’elle est conduite jusqu’à la maison de sa future belle-famille et mariée de force. Un soir, d’anciens camarades de classe d’Aïnura lui rendent visite : « Viens avec nous, Nurlan s’est marié, on va fêter ça ». Elle les suit, insouciante, bien que sa sœur, enlevée quelques mois plus tôt, l’ait mise en garde. Mais c’est un piège. Au bout d’une heure, ils lui annoncent qu’ils ont décidé de la voler. Elle proteste : « Vous plaisantez ? Je ne veux pas ! Mais déjà, la voiture s’arrête devant la maison de Nurlan et la jeune femme est entraînée à l’intérieur ».

Et la pratique est si bien ancrée dans les mentalités que les femmes elles-mêmes en sont devenues les complices. Elles sont chargées de convaincre la jeune fille d’accepter l’union puis de la préparer pour le mariage.  Aïnura les supplie de la laisser partir, elle invoque ses études qu’elle doit terminer. Mais les femmes poursuivent leur litanie : « C’est ton destin. Tu dois rester. Nous aussi on nous a enlevées. Tu as enfin trouvé ta maison. Tu as enfin trouvé ton mari. » AÏnura n’en peut plus : « Cela faisait des heures qu’elles étaient sur moi ». Les femmes continuent : «  Nous avons connu tes parents. C’étaient des gens très honorables. Tu ne dois pas t’écarter des traditions. Tu dois rester. Si tes parents étaient vivants, ils auraient honte ». Aïnura, épuisée, finit par céder, de peur de jeter de déshonneur sur sa famille. Mais cette tradition a aussi un intérêt financier pour les familles des garçons car elle leur permet d’éviter de payer la dot.

Quand on interroge aujourd’hui ces jeunes filles kirghizes, beaucoup disent avoir accepté leur destinée. La résignation ? Le dépit ? Leurs rêves d’études et de carrières semblent déjà bien loin. Espérons que la nouvelle loi permettra de faire reculer un peu plus cette pratique du « rapt des fiancées » même si ce sont avant tout les mentalités qu’il faut faire évoluer.

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