Secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, Brigitte Grésy a rédigé en 2009 le rapport sur l’égalité professionnelle qui a inspiré la loi Copé-Zimmermann. Elle revient pour nous sur l’histoire de la loi, la professionnalisation de la fonction d’administrateur, l’arrivée des femmes au sein des conseils d’administration.
Votre rapport sur l’égalité professionnelle publié en 2009 a inspiré la loi Copé-Zimmermann qui impose de féminiser les conseils d’administration à hauteur de 40 % d’ici 2017. Pour quelles raisons ?
La bataille des quotas, c’est une longue histoire qui a commencé par le refus des quotas par le Conseil constitutionnel dans la loi de 2006 sur l’égalité salariale. En 2008, grâce à l’action de Madame Zimmermann, l’article 1 de la Constitution avait été modifié afin de permettre l’égal accès des femmes et des hommes, non seulement aux mandats électoraux et aux fonctions électives, mais aussi aux responsabilités professionnelles et sociales. La porte était donc ouverte à des changements et à une nouvelle loi. C’est à ce moment là que la Secrétaire d’Etat chargée de la solidarité, Madame Létard, m’a demandé d’écrire un rapport sur l’égalité professionnelle qui a été publié en juillet 2009. Pour briser le plafond de verre auquel étaient confrontées les femmes quand il s’agissait d’accéder aux instances de gouvernance, je préconisais dans ce rapport 40 % de femmes au sein des conseils d’administration des sociétés cotées. Une proposition que j’avais murement réfléchi en rencontrant notamment le ministre norvégien Sigmar Gabriel qui avait fait voter une loi sur les quotas. Le pays comptait alors 44,2 % de femmes dans les conseils contre environ 10 %en France. Cet état des lieux que proposait mon rapport sur l’égalité professionnelle a fait l’effet d’un électrochoc !
Le contexte était donc favorable en 2011 à une loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance ?
Oui, tout à fait. Cette loi est la résultante d’une alchimie entre plusieurs acteurs. Les médias, d’abord, qui ont titré pendant quinze jours après la sortie de ce rapport sur cette proposition de mettre 40 % de femmes dans les conseils d’administration ; ils étaient avec nous. Les réseaux de femmes ont également soutenu cette proposition alors que deux ans avant, nombre de femmes disaient refuser d’être des femmes quotas ou des femmes alibis. Et puis, surtout, il y a eu le rôle fondamental des élus. Monsieur Copé a porté, avec Madame Zimermann, cette proposition de loi car il a senti que le contexte était favorable.
Mais, attention, ces quotas, c’est-à-dire ces objectifs chiffrés, obligatoires sous peine de sanctions (la nullité de la nomination d’un membre au sein d’un conseil mal composé et le non paiement des jetons de présence) sont conformes à la jurisprudence européenne, c’est-à-dire qu’ils promeuvent une personne du sexe sous-représenté à condition qu’il soit de compétence comparable. C’est très important ! On ne promeut pas une idiote au détriment d’un bon. On substitue des règles claires et transparentes à une politique de cooptation non transparente ; on substitue des quotas visibles à des quotas invisibles.
En quoi cette loi a-t-elle eu un impact sur la fonction d’administrateur ?
Avec la loi, s’est posée la question du vivier. Où va-t-on trouver les femmes ? Puisqu’il fallait promouvoir des candidats à compétences comparables, et notamment des femmes, alors sous-représentées dans les conseils d’administration, on s’est mis à réfléchir en termes de référentiel de compétences et non plus seulement de « copinage ». Il faut bien avoir conscience qu’un administrateur indépendant représente l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, et donc des profils hétérogènes. Une fois reconnue cette hétérogénéité des profils, il a fallu se concentrer sur des cercles d’excellence différents. La stratégie de recherche a alors changé. Puisque les femmes sont très peu nombreuses à être PDG ou actionnaires, on a trouvé d’autres cercles d’excellence comme le management, la finance, la gestion des ressources humaines. Et il se trouve qu’au sein de ces cercles, il y a de nombreuses femmes qu’on n’allait pas chercher auparavant. La notion de vivier a donc été complètement reconsidérée, ce qui a justifié les formations au métier d’administrateur aussi bien pour les femmes que pour les hommes. L’arrivée des femmes a ainsi changé la donne et aboutit à la professionnalisation du métier d’administrateur.
Cette professionnalisation de la fonction d’administrateur au moment où les femmes entrent dans les conseils peut-elle être l’occasion de déconstruire certains stéréotypes ?
On peut l’espérer ! Des études menées sur les femmes administratrices en Suède bouleversent totalement la vision binaire traditionnelle que l’on a du féminin et du masculin. Elles mettent en évidence qu’au sein des conseils d’administration, les femmes ont un goût pour le risque plus fort et une propension à des valeurs traditionnelles et sécuritaires moins prononcées que les hommes.
Néanmoins, certains stéréotypes ont la vie dure. Par exemple, pour un même comportement, un homme sera jugé charismatique quand une femme sera qualifiée d’autoritaire. Mais cette description des stéréotypes ne fait que confirmer la vision que chacun a du monde, sans le faire bouger d’un pouce. Il faut donc remettre en question les notions de féminin et le masculin qui ne sont que pures constructions évoluant dans l’espace et le temps au gré des modes, des fantasmes et des peurs.
A deux ans de la loi, où en sommes-nous de la féminisation des conseils ?
Force est de constater que les quotas obligatoires fonctionnent : 10 % de femmes dans les conseils d’administration du CAC 40 en 2010, près de 25 % en 2013, après que la loi en 2011 sur les quotas a produit ses effets, 30,3 % aujourd’hui selon une enquête du cabinet Ethic & Boards. Les entreprises du SBF 120 connaissent une progression similaire : la part des femmes dans leurs conseils d’administration atteint 28,8 %.
Si ces chiffres sont encourageants, il faut rester vigilant. Il est à redouter en effet qu’il y ait un palier difficile à franchir pour les entreprises dans la mesure où il leur reste encore deux ans pour atteindre les 40 %. Peut-être que 2015 va être une moins bonne année. C’est inexorable !
Ce qui pose surtout problème, ce sont les systèmes de suivi qui sont insuffisants. Pour le SBF120, on a Ethic & Boards qui fait un classement ; pour les Mid Cap(250 M€<1 000 M€), c’est Guy Le Péchon, associé-gérant de G&S, qui s’en charge. Mais pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 150 M€ d’euros, nous avons beaucoup moins de visibilité d’autant qu’elles sont très nombreuses. Or, si on n’organise pas un suivi, il est probable que la loi ne sera pas appliquée.
Vous n’avez encore jamais occupé de poste d’administrateur. Est-ce par choix ?
C’est vrai… Je n’ai jamais occupé de poste d’administratrice, même dans la fonction publique. Avant cette loi, on venait très peu chercher les femmes énarques. On sollicitait éventuellement celles qui travaillaient au Ministère des finances mais les autres, jamais. J’ai même été présidente du Comité d’orientation de l’Institut français des administrateurs, on ne m’a jamais proposé de poste. Soit ils n’y ont pas pensé, soit ils se sont dit : « on ne va pas mettre madame quotas ». Et moi je suis tellement débordée par ces combats pour l’égalité que je ne me suis pas manifestée.
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