Née dans une famille bourgeoise, Niki de Saint Phalle trouva dans l’art un moyen d’échapper au rôle traditionnel qui lui avait été assignée et de se réaliser elle-même. Ses figures féminines, les Nanas, la firent connaître dans le monde entier.
Née en 1930 à Neuilly dans une famille franco-américaine bourgeoise, Marie-Agnès Fal de Saint Phalle grandit à New York où elle reçoit une éducation traditionnelle. Violée par son père à l’âge de onze ans, elle devient une petite fille instable et turbulente. Elle, qui se fait désormais appeler Niki, se fait renvoyer régulièrement des écoles religieuses qu’elle fréquente ; elle a pris l’habitude de peindre en rouge les feuilles de vigne couvrant les statues grecques.
Echapper à son milieu
A 18 ans, elle fugue avec son futur mari Harry Mathews et travaille comme mannequin, chez Vogue notamment. A 20 ans, elle donne naissance à sa fille et s’inscrit dans un cours d’art dramatique. Quatre ans plus tard, naît un fils. Niki finit par céder à sa mère et accepte de se marier religieusement. Le couple s’installe dans le Massachusetts, et c’est pendant cette période que Niki se lance dans la peinture, en autodidacte. Ses premières œuvres sont déjà guidées par la réflexion qu’elle mène sur le rôle de la femme dans notre société : « Je ne voulais pas devenir comme elles (sa mère, sa tante), les gardiennes du foyer, je voulais le monde et le monde alors appartenait aux hommes. Une femme pouvait être une reine, mais dans sa ruche, et c’était tout. Les rôles attribués aux hommes et aux femmes étaient soumis à des règles très strictes de part et d’autre. »
La rencontre avec Jean Tinguely
Après un déménagement en France et une grosse dépression nerveuse, Niki décide, encouragée par ses psychiatres, de se consacrer sa vie professionnelle entièrement à la peinture. En 1960, elle fait la connaissance à Paris du sculpteur Jean Tinguely et abandonne marie et enfants pour vivre avec lui. Elle réalise alors des assemblages de plâtre et d’objets trouvés auxquels elle intègre des sacs plastiques remplis de peinture. Puis elle tire à la carabine sur ces reliefs et la couleur gicle sur le plâtre. Ces œuvres, appelées Tableaux-tirs, sont un moyen pour elle d’extérioriser ses démons intérieurs et d’exprimer sa propre violence : « Il existe dans le cœur humain un désir de tout détruire. Détruire c’est affirmer qu’on existe envers et contre tout. » Après deux ans de provocation avec ses happenings au fusil, Niki de Saint Phalle se retire dans « un monde plus intérieur, plus féminin » et commence à représenter « des mariées, des accouchements et des putains, ces rôles variés que les femmes ont dans la vie ». La religion, la famille, la société en général, deviennent des prétextes pour dénoncer la répartition des rôles.
La Mariée, 1963
La Mariée de 1963 est composée, au niveau du torse, d’un amoncellement de poupons, fleurs artificielles en plastiques et autres jouets signifiant le conditionnement qu’ils perpétuent sur le devenir de l’être humain. L’unité, donnée par l’aspect monochrome qui se dégage de sa blancheur immaculée, renvoie à l’idée préconçue de candeur, pureté, virginité, autres carcans infligés à la femme lorsque cette dernière gravit des rites de passage (communion, mariage). Comme l’assigne Roland Barthes dans Mythologies : « Les jouets courants sont essentiellement un microcosme adulte ; ils sont tous reproductions amoindries d’objets humains, comme si aux yeux du public l’enfant n’était en somme qu’un homme plus petit, un homunculus à qui il faut fournir des objets à sa taille » (…) Pour le reste, le jouet français signifie toujours quelque chose, et ce quelque chose est toujours entièrement socialisé, constitué de mythes ou les techniques de la vie moderne adulte (…) Que les jouets préfigurent littéralement l’univers des fonctions adultes ne peut évidemment que préparer l’enfant à les accepter toutes. »
L’Autel des femmes, 1964
L’Autel des femmes (1964), loin de représenter une ode à la liberté de ces dernières, dénonce la structure de prostitution imposée aux femmes par la société. Elle adopte la forme ancienne du triptyque pour illustrer les différents aspects de l’existence féminine : le centre est occupé par une mariée vêtue de blanc, poitrine ouverte, devenue reliquaire du cœur de Jésus couronné d’une flamme. Des corps de femmes, dont l’une incarnant la mort, la survolent. L’ensemble subit la menace d’un monstre agressif prêt à surgir de la droite pour engloutir cette mariée innocente. Ce volet droit renvoie à l’univers masculin de la guerre et de la mort, en témoignent les buildings assombris, les avions de combat qui s’abattent sur la ville. Le monstre est quant à lui composé de figurines de soldats, têtes de morts, armes et araignées.
La Crucifixion, 1965
La Crucifixion présente une femme hybride, entre la « maman » et la « putain », portant bigoudis et porte-jarretelles, s’offrant langoureusement aux spectateurs. Le pubis velus attire notre regard. Cette figure archétypale semble pointer du doigt l’épinglage, façon « pin up », des femmes crucifiées dans leurs attributs de femmes ou de mères. De cette représentation arcimboldesque de la femme offerte aux regards, Niki de Saint Phalle frôle le blasphème, le Christ est devenu femme, et la femme devenue martyr. Alors que La Crucifixion épingle le martyr du Christ devenu femme, La Mariée est corsetée dans sa robe matrimoniale, deux archétypes féminins, deux projections qui la suivront de façon obsessionnelle durant toute sa carrière d’artiste.
Les Nanas
En 1965, elle réalise ses premières Nanas, inspirées à l’origine par un croquis représentant une amie proche, Clarice Rivers, en pleine grossesse. Ces sculptures de femmes volumineuses, multicolores, la rendront célèbre dans le monde entier. D’abord réalisées en laine, en fil de fer et en papier mâché, Niki de Saint Phalle utilise ensuite le polyester, rendant ses sculptures plus légères, plus aériennes.
Avec Hon (Elle), œuvre monumentale réalisée en 1966 pour le Moderna Museet de Stockohlm avec l’aide de son compagnon Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle met au point une nana massive de 28 mètres de long, allongée sur le dos, cuisses ouvertes, dans laquelle les spectateurs sont invités à entrer par le vagin. Niki parle alors de « Femme Cathédrale ». Cette cathédrale devient à son tour un véritable parc d’attractions : dans le ventre de la « nana » se trouve une terrasse, dans son sein gauche, un planétarium, dans le droit, un « milk bar équipé d’un conduit broyeur de bouteilles ».
En 1967, elle réalise toujours avec Tinguely un groupe de quinze figures pour le toit du pavillon français de l’Exposition universelle de Montréal ; dans le sud de la France sont construites trois maisons « nana » (1969-1972).
« Un lieu où rêver »
En 1971, Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely se marient. Après avoir inhalé des vapeurs de polyester, l’artiste subit une lésion irréversible des poumons. Au milieu des années 70, elle fait plusieurs cures d’oxygénation en Suisse pour atténuer son mal.
Pendant sa convalescence, naît l’idée d’un jardin de sculpture, « un lieu où rêver, un jardin de joie et d’imagination ». Sur un terrain mis à sa disposition en Toscane par des amis, elle commence à réaliser à son compte un jardin fantastique à Garavicchio. D’après les vingt-deux cartes du tarot, elle réalise des figures monumentales couvertes de mosaïques de verre, de céramique et de miroirs imprimés dans du ciment. En 1993, le jardin est déclaré patrimoine culturel français en terre italienne et ouvert au public.
En 1991, Jean Tinguely meurt subitement. Bien que les deux artistes aient vécu avec des partenaires différents, leurs chemins ne s’étaient jamais séparés et ils étaient restés proches. Il exécuteront plusieurs projets ensemble dont la Fontaine Stravinsky (1983) à côté du Centre Pompidou à Paris.
Veuve, Niki de Saint Phalle doit s’occuper de la succession du sculpteur et décide de faire don de ses œuvres à la ville de Bâle où un musée Tinguely verra le jour. Avant l’inauguration du musée, elle part s’installer dans le Sud de la Californie où le climat chaud atténue son mal. Elle continue de créer. Elle décède en 2002.
Sources :
- Women artists, Taschen, 2001.
- Blog Elles@centrepompidou
- Femmes célèbres : biographies de femmes réelles ou imaginaires qui font l’histoire.
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