Alexandra Kollontaï, porte-parole des femmes prolétaires

De naissance aristocratique, Alexandra Kollontaï fut acquise très tôt aux idées socialistes. Traquée par le régime tsariste, elle passa plusieurs années en exil avant de revenir en Russie en 1917. Membre du gouvernement de Lénine, elle se consacra alors à défendre les intérêts des femmes russes, et en particulier des prolétaires. Alexandra Kollontaï deviendra également en 1943 la première femme ambassadeur.

Alexandra Kollontaï naît en 1872 d’un père appartenant à la vieille noblesse ukrainienne, le général Domoutovitch, et d’une mère riche finlandaise. Partageant son enfance entre Saint-Pétersbourg et la Finlande, elle reçoit une éducation soignée, passe son bac à seize ans et se passionne très tôt pour les idées nouvelles et le mouvement socialiste. En 1893, elle épouse l’ingénieur Vladimir Kollontaï dont elle aura un fils. On raconte que son père l’aurait mariée afin de calmer son esprit rebelle. Ce qui n’empêche pas Alexandra de le quitter quatre ans plus tard. Elle part alors pour l’Europe où elle séjourne pendant trois ans. A Zurich, elle étudie l’économie politique dont le marxisme. De retour en Russie en 1899, elle se met à travailler au sein des organisations socialistes illégales. Après les événements de 1905 qui aboutissent au Manifeste d’octobre, Alexandra Kollontaï devient une révolutionnaire professionnelle à plein-temps. Surveillée par la police impériale pour ses attaques contre la politique tsariste, elle doit prendre le chemin de l’exil. Elle est en Norvège quand elle apprend en mars 1917 les débuts de la révolution russe. Elle rentre alors au pays. Élue au comité central du parti bolchevik, elle devient membre du premier gouvernement de Lénine.

Une porte-parole des femmes prolétaires…

La première fois qu’Alexandra Kollontaï se manifesta en tant que porte-parole des femmes prolétaires, ce fut à l’occasion de la réunion d’inauguration de l’Union Panrusse pour l’Egalité des droits des femmes, en avril 1905. Elle s’éleva avec virulence contre un féminisme qui s’était proclamé « défenseur des intérêts de toutes les femmes russes indépendamment de la classe à laquelle elles appartenaient ». Au printemps 1907, elle donne à Saint-Pétersbourg une série de conférences publiques à l’Union des ouvrières du textile, sur l’hygiène maternelle, les associations de femmes en Angleterre, la conditions des ouvrières…

En avril, sa rencontre avec Klara Zetkin à la première Conférence internationale des femmes socialistes la persuade qu’un effort particulier doit être fait auprès des ouvrières. A l’automne, elle participe à l’ouverture, à Saint-Pétersbourg, d’un club légal d’ouvrières. Dès les premiers mois, le nombre d’adhérents atteint le chiffre de 300.

Du 10 au 16 décembre 1908, eut lieu le premier Congrès féminin panrusse. Elle s’ouvrit dans la salle de la Douma de Saint-Pétersbourg en présence de 1053 congressistes, déléguées de toutes les unions de femmes et des fractions féministes des partis politiques, journalistes, hommes d’Etat… Le féminisme russe y était représenté dans toute sa diversité. Pour préparer se Congrès, Alexandra Kollontaï avait écrit un ouvrage théorique Les Bases sociales de la question féminine, publié en 1909. En s’inspirant d’Engels et de Bebel, elle y traite de la famille et de la condition féminine et réfléchit sur la lutte à mener. Ce Congrès, au lieu d’unir les différents groupes de femmes, les  divisa. Alexandra Kollontaï, recherchée par la police, dut quitter le Congrès avant la fin et s’exila en Europe comme réfugiée politique jusqu’à la chute du tsarisme. Son départ mis fin à la première tentative d’organisation d’un mouvement de femmes socialistes en Russie.

… contre le mariage…

Alexandra Kollontaï, qui s’est toujours intéressée à la sexualité, considère la vie privée comme un problème concernant la société entière. Pour elle, la libération des femmes passe par le refus de la famille, déjà rongée de l’intérieur par la « double-morale » bourgeoise qui clame d’un côté l’amour et la fidélité, et pratique de l’autre le mariage d’intérêt et l’adultère. Quand au prolétariat, il n’a pas les moyens de pratiquer une vie de famille. C’est donc lui qui détruira le plus facilement ce carcan au profit de l’union libre, qu’elle-même pratique, union de deux êtres autonomes dont la seule raison d’être est l’amour. En 1918, elle publie La Nouvelle morale et la classe ouvrière où elle réfléchit sur ce que pourrait être l’union libre : une « amitié érotique » basée sur le plaisir et l’estime réciproque, qu’elle appellera plus tard « l’amour-camaraderie ».

… et en faveur de la collectivisation des tâches familiales

Alexandra Kollontaï se rend compte néanmoins que ce type d’union n’est pas sans risque pour les femmes. Cela implique qu’elles soient indépendantes économiquement mais aussi psychologiquement, ce qui après leur éducation et leur aspiration au « grand amour » est pour elles difficile à accepter. Pour que les femmes consacrent leur énergie à conquérir leur individualité, l’Etat doit les libérer totalement des fonctions familiales : de l’éducation des enfants, de la cuisine, de la lessive…

En janvier 1918, est mis en place, sous l’égide Alexandra Kollontaï alors Commissaire du peuple aux affaires sociales, un office central pour la protection de la maternité et de l’enfance. La création de cette institution montre bien que la maternité est considérée comme un problème d’Etat. Cette office institué, pour toutes les travailleuses, un congé payé de maternité d’une durée de seize semaines. Des maternités, des cliniques, des dispensaires sont organisés pour dispenser des soins aux futures mères. On ouvre des crèches et des jardins d’enfants, où les enfants sont élevés selon les principes de la nouvelle morale pour en faire des « bâtisseurs du communisme ».

Sa fugue en Crimée, en 1918, avec le marin de la Baltique Pavel Dybenko, provoque la protestation de plusieurs dirigeants communistes dont le puritanisme est aussi farouche que la foi révolutionnaire. Alexandra Kollontaï est condamnée : pendant cinq ans elle doit s’abstenir de toute activité politique.

La première femme « ambassadeur »

En 1923, elle est réhabilitée. Ayant acquis avant la révolution une expérience des milieux scandinaves et une connaissance du personnel politique, elle est envoyée par le parti comme ministre plénipotentiaire en Norvège. Elle est nommée ministre en Suède le 30 octobre 1930, dans ce pays nordique où elle avait fait de la prison seize ans plus tôt. Elle est alors âgée de cinquante-huit ans. En raison de la place importante prise par la Suède durant la Seconde guerre mondiale, la légation soviétique est élevée au rang d’ambassade en septembre 1943.

Alexandra Kollontaï atteint non seulement le premier échelon de la Carrière, mais elle devient le « doyen » du corps diplomatique en Suède. Lors de son soixante-dixième anniversaire elle reçoit l’ordre de l’Étendard rouge, et elle est également décorée de l’ordre de Lénine.

Sa vie publique se termine en juillet 1945, après la victoire de l’U.R.S.S. sur l’Allemagne. Elle regagne Moscou, et elle occupe sa retraite à écrire ses Mémoires. Elle décède en mars 1952. Sa dépouille est inhumée au couvent célèbre de Novodievitchi de Moscou, dans le cimetière réservé aux personnalités importantes du régime communiste.

Sources :

– Pierre André, « Alexandra Kollontaï, la première femme ambassadeur« , Le Monde diplomatique, mai 1954.

-Hélène Yvert-Jalu, Femmes et famille en Russie : d’hier et d’aujourd’hui, Editions du Sextant, 2008.

– Sabine Bosio-Valici et Michelle Zancarini-Fournel, Femmes et fières de l’être, Larousse, 2001.

– Alexandra Kollontaï, Conférences à l’Université Sverdlov sur la libération des femmes, 1921.