« Filles de la mer » est un roman captivant et déchirant qui rappelle un épisode douloureux de l’histoire coréenne : celui des « femmes de réconfort » qui servirent d’esclaves sexuelles à l’armée japonaise pendant la Guerre quinze ans (1931-1945).
1943. L’île de Jeju, au sud de la Corée. Hana a vécu toute sa vie sous l’occupation japonaise. Elle appartient à la communauté haenyeo, au sein de laquelle ce sont les femmes qui font vivre leur famille en pêchant en apnée. Un jour, alors qu’Hana est en mer, elle aperçoit un soldat japonais qui se dirige vers sa petite sœur Emi. Craignant pour elle, Hana rejoint le rivage aussi vite qu’elle le peut et la sauve en se faisant enlever à sa place. Elle devient alors, comme des milliers d’autres Coréennes, une « femme de réconfort » en Mandchourie, une esclave sexuelle pour l’armée japonaise.
Ainsi commence l’histoire de deux sœurs violemment séparées. Alternant entre le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011, Filles de la mer se lit au rythme des vagues et dévoile un pan sombre et bouleversant de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Asie : celui de ces dizaines de milliers de femmes et de filles réduites en l’esclavage par l’armée japonaise, celui de la guerre en Corée et des massacres des populations civiles.
Au fil de récit, Mary Lynn Bratch dresse le portrait de deux femmes fortes qui résistent, qui ne plient pas malgré les violences, les humiliations, la souffrance. La tension est palpable. Et pourtant, peut-être grâce aux liens indéfectibles qui unissent Hana et Emi, les deux héroïnes nous ramènent vers la lumière, où l’espoir triomphe des horreurs de la guerre.
Ce premier roman est fort ; il prend aux tripes. Il rend hommage à ces femmes coréennes qui ont été kidnappées, piégées ou vendues comme esclaves sexuelles pour et par l’armée japonaise durant la période de colonisation de la Corée par la Japon. Des historiens estiment qu’elles ont été entre 50 000 et 200 000 à connaître ce sort. Et pour celles qui ont survécu, elles ont gardé enfoui au plus profond d’elles-mêmes leur histoire. Car à l’époque la Corée était alors une société patriarcale fondée sur l’idéologie de Confucius, dans laquelle la pureté d’une femme était de la plus haute importance. Les survivantes ont été forcées de souffrir en silence. Beaucoup ont été victimes de problèmes de santé, de stress post-traumatique et de difficultés à réintégrer la société.
Il a fallu attendre quarante ans et les révélations de Kim Hak –sun (1925-1997) pour que l’histoire des « femmes de réconfort » éclate au grand jour. En août 1991, elle osa parler publiquement de sa jeunesse saccagée et de sa vie brisée, donnant à d’autres femmes le courage d’entamer une action en justice en décembre de la même année. Plus de deux cents « femmes de réconfort » se sont ensuite fait connaître. Elles ont pu témoigner de leur captivité, de leurs conditions de vie et de la manière dont elles sont parvenues à rentrer chez elle. Beaucoup de ces femmes sont mortes loin de chez elles et nombreuses sont les familles qui n’ont jamais su ce qui leur était arrivé.
Depuis janvier 1992, une manifestation a lieu chaque mercredi devant l’ambassade du Japon, à Séoul. Des victimes du système d’esclavage sexuel, des militants des droits humains, des étudiants et des personnes originaires du monde entier viennent y témoigner leur solidarité et soutenir les demandes de justice.
En décembre 2015, un accord a été trouvé entre la Corée du Sud et le Japon au sujet de ces femmes. Après des années de polémique, le gouvernement japonais de a accepté d’indemniser les 46 « femmes de réconfort » coréennes encore vivantes et a reconnu la responsabilité de l’Etat dans cette tragédie. Toutefois les victimes ont refusé cet accord élaboré sans elles. La plaie est toujours ouverte.
Mary Lynn Bratch, Filles de la mer, Pocket, 2019.