Une nuit sur la banquise. Une nuit pas comme les autres. Une première fois pour Uqsuralik : le sang vient de s’écouler, entre ses jambes. En silence, elle sort de l’igloo. C’est alors que la banquise se fracture et la sépare de sa famille. Livrée à elle-même, dans la pénombre et le froid, Uqsuralik va devoir avancer vers l’inconnu. Sa seule chance de survie : croiser d’autres êtres vivants.
Commence alors, dans des conditions extrêmes, une errance au sein de l’arctique peuplé d’hommes, d’animaux et d’esprits. Les éléments se déchaînent, Uqsuralik se réfugie dans des trous, endure la faim, la solitude. Jusqu’au jour où elle croise d’autres hommes. Elle va faire face, cette fois-ci, à la violence des hommes. « Je suis moi-même coupée en deux par le milieu. Autant quitter la vie, quand elle ne promet rien de bon », raconte-t-elle après avoir été violée.
Malgré tout, Uqsuralik doit vivre parmi eux, pour rester vivante dans cette nature magnifique mais hostile où les périodes de famine sont redoutées et redoutables. La mort rode et quand il n’y a plus rien à manger, les vieillards peuvent être abandonnés et les nourrissons étouffés si leur mère meure en couche. Telle est la dureté de la vie de la jeune fille, entre banquise et toundra, où nature et sacré sont indissociables.
Sa vie s’illumine pourtant quand elle rencontre Tulukaraq avec qui elle explore, en kayak, les entrailles d’un iceberg. « Le départ des autres et notre décision de rester ici ensemble font définitivement de nous des époux. Je suis heureuse de commencer une nouvelle vie avec lui ». Malheureusement le bonheur est de courte durée. Parti chasser, Tulukaraq ne reviendra pas au camp. Le désespoir saisit la jeune fille : « Qu’il est donc difficile d’être seule, sans père, sans époux, sans famille. Sans raison de vivre finalement. Le géant et la veuve ont raison, il me faut un enfant – mais où le trouver ? »
De pierre et d’os est aussi un livre sur la féminité, la maternité. Une histoire de femmes. Celle de Sauniq, la vieille femme, Uqsuralik, la jeune femme et Hila l’enfant. L’accouchement est très présent dans le livre ; synonyme de douleurs et de dangers – on risque d’en mourir ou d’apporter le mauvais œil – il est source aussi de bonheur. Le véritable danger, ce sont surtout les hommes; Sauniq met Uqsuralik en garde : « Ne dis à personne que les esprits t’ont visitée/ Ou bien tes pouvoirs seront brimés, entravés/ Les femmes puissantes/ Encourent d’abord/ Tous les dangers ». Car Uqsuralik est une femme puissante, une survivante.
Couronnée du prix Fnac 2019, Bérengère Cournut n’a pourtant jamais mis les pieds en Arctique. C’est pendant sa résidence de dix mois au Muséum d’histoire naturelle de Paris qu’elle s’est documentée sur la société Inuit, ses rituels, ses codes et ses chants ! Elle nous livre un très beau roman, le récit initiatique et poétique d’une femme en quête d’identité.