Rage against the machisme

Oui les femmes ont une histoire ! Une histoire de luttes pour leurs droits, une histoire longue et complexe. De la Révolution française à #Metoo, l’historienne Mathilde Larrère propose une synthèse pédagogique et documentée de trois siècles de combats féministes. 

Quand est né le féminisme ?

On a pris l’habitude de parler de vague pour qualifier le mouvement féministe et ses avancées. La troisième vague aurait débuté en 2017 avec l’affaire Weinstein et #Metoo. La seconde serait celle des années 1970 et la première celle des suffragettes de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Mais c’est oublier toutes celles qui ont lutté pour leurs droits avant la fin du 19e siècle.

Certes, le mot « féminisme » est tardif et date bien de la première vague. On le doit à Hubertine Auclert qui s’approprie en 1882 un mot d’abord utilisé dans un sens péjoratif par Alexandre Dumas fils, dans L’Homme-Femme (1872). Mais dire qu’il n’y a pas eu de revendications féministes avant serait faux ! D’autant que les luttes se croisent, se répondent, se tendant la main dans le temps. 

Le féminisme ne peut se raconter au singulier

Mathilde Larrère met également en garde contre un féminisme universaliste défendu aujourd’hui par certaines féministes. Ce serait nier que les femmes ne sont pas, et n’ont jamais été d’ailleurs, égales entre elles, que leurs chances d’être égales aux hommes sont inégalement distribuées. Une femme ni blanche, ni riche, ni hétérosexuelle a plus de chance d’être victime de discrimination, stigmatisée, violentée, invisibilisée !

Dans l’histoire du féminisme, on a occulté par exemple l’importance des homosexuelles. Il faut attendre les années 1960-1970 pour que l’identité lesbienne devienne une identité collective, portée politiquement. Marie-Jo Bonnet, Christine Delphy et Monique Wittig ont permis de comprendre à quel point la domination masculine repose sur l’hétérosexualité obligatoire et sur les contraintes qui pèsent sur le corps et la sexualité des femmes. 

D’autre part, depuis les mouvements féministes des femmes colonisées puis décolonisées, depuis le black feminism états-uniens des années 1970, l’afro-féminisme percute le féminisme français. Des voix commencent à émerger ; je pense à celles d’Aïssa Maïga et de Mame-Fatou Niang notamment.

Le féminisme ne peut donc se raconter au singulier. Il a toujours été constitué d’une hétérogénéité de groupes de femmes, traversé de différents courants et visées politiques, animé de conflits internes souvent violents, ouvert mais dans le même temps parfois fermé aux combats des femmes des autres pays parfois même aux combats de femmes invisibilisées, discriminées dans notre pays. 

Une histoire discontinue 

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », écrivait Simone de Beauvoir. De 1830 à 1870, des femmes se sont associées, se sont battues pour porter haut et fort les revendications des féministes de ce siècle : égalité civile, égalité dans le mariage, droit au divorce, droit à l’éducation, droit au travail, égalité salariale, droits politiques – notamment le droit de vote. Si chaque révolution est une occasion saisie par les femmes pour faire avancer leur cause, chaque retour à l’ordre politique conservateur est un retour à l’ordre des sexes. Car si les femmes se sont fait entendre, non seulement on ne les a pas écoutées, mais très vite on les a fait taire. Pas de droit de vote en 1830, ni en 1848, ni en 1871. On le rappelle – même si on l’a toutes en tête – les femmes ont voté en France pour la première fois en 1945. No comment ! 

Un livre polyphonique 

Le livre mêle des récits, des documents d’époque, des chansons et des slogans, reflétant la détermination et l’audace de celles qui n’acceptent pas l’inégalité des sexes. Il y a bien sûr les incontournables comme la chanson de la femme su soldat inconnu ou le Manifeste des 343 mais aussi des histoires peu connues à l’image de celle de Joséphine Pencalet, ouvrière, syndicaliste, gréviste et l’une des premières femmes élue en France, avant même le droit de vote des femmes. Il y aussi cette magnifique chanson Douce Maison (1978) d’Anne Sylvestre sur le viol. 

Quant au « florilège des raisons bien pourries opposées aux femmes qui voulaient voter ou être élues », il rappelle – oh combien – que les mentalités ont bien peu évolué. Ainsi, pouvait-on lire dans Le Figaro de 1880 : « Si on donne le droit de vote aux femmes, après les bœufs voudront voter ». Un siècle plus tard, ce n’est guère mieux : « Il n’y a qu’à proposer une chose simple : toutes les femmes qui veulent l’investiture doivent être baisables ! », affirmait Charles Pasqua, ministre RPR en 1988. Un régal !

Rage against the machism est une histoire réussie des luttes et des victoires féministes, une bonne entrée en matière pour quiconque voudrait se familiariser avec l’histoire du féminisme. Un livre également ancré dans le présent nous rappelant qu’aujourd’hui encore les droits des femmes peuvent être remis en question. Ne nous endormons pas !