Aux commandes du Darjeeling Express, Asma Khan a brisé les conventions et s’est imposée comme cheffe gastronomique sur la scène londonienne. La série Chef’s table, réalisée et diffusée sur Netflix, lui consacre un épisode. Le portrait d’une femme déterminée, attachée à transmettre l’histoire de l’Inde et de sa famille. Une femme libre qui donne tout son sens au concept de sororité.
« Je savais qu’un jour mon nom serait connu de tous ». Cette ambition, Asma l’a depuis son plus jeune âge, depuis qu’elle sait lire dans le regard des autres. Et ce qu’elle y voit, ce n’est pas de la fierté mais de la déception. Parce qu’en Inde, quand une fille naît, ce n’est pas une chance. Et quand le destin veut qu’une seconde fille naisse dans la même famille, « ce n’est pas comme une vie, mais presque comme une mort ».Et Asma était la deuxième fille. Un fardeau, une déception. En colère face à une telle injustice, Asma va s’efforcer de devenir une personne incroyable pour faire la fierté de sa mère et effacer le fait d’être la deuxième fille. Elle veut laisser une trace.
Asma sait aussi qu’elle doit être à la hauteur de son rang. Quand sa famille s’est installée en Inde au 19e siècle, elle a acquis des vergers et fait pousser des arbres. Des terres fertiles et un savoir-faire qui vaudront en 1851, à l’exposition universelle de Londres, aux mangues cultivées par sa famille d’être sacrées les meilleures du monde. Très tôt, elle prend conscience des responsabilités qui incombent à une jeune fille née du bon côté. Un jour, son père l’a faite monter en haut de l’une des tours du fort ancestral familial et lui a montré les quartiers pauvres en contrebas. « C’est le hasard de la naissance. Tu aurais pu être ici, ou là », a-t-il dit, avant d’ajouter : « Utilise ta vie pour changer les choses car étant privilégiée, tu as le devoir d’élever les autres ».
Véritable garçon manqué – certainement pour faire oublier qu’elle est une fille -, Asma a la réputation d’être une rebelle, d’être incontrôlable. On ne lui trouve pas de mari. Ses parents finissent par la laisser aller à l’université. « C’est là que tout a changé ». Elle y rencontre son mari, un homme fait pour elle, un universitaire médaillé d’or de l’université d’Oxford. Asma se marie puis déménage à Londres. En Angleterre, elle décide d’étudier le droit afin de faire quelque chose d’utile et de rendre fiers ses parents. Elle obtient son doctorat. Son mari passe son temps à enseigner, elle se sent seule, elle n’a pas d’amis. Un immense vide s’installe en elle.
Asma a le mal du pays. Elle décide de rentrer. A son retour, sa mère lui dit : « Tu pleures car tu as faim, faim des plats de chez nous. Je vais t’apprendre à cuisiner ». Et c’est là que tout commence. La cuisine de son pays, l’Inde, s’est « incrusté dans son âme ».A son retour au Royaume Uni, elle commence à cuisiner. Elle rencontre des femmes originaires d’Asie du sud, qui sont nounous, femmes de ménage pour des familles européennes. « Des étrangères dans un pays étranger »,comme elle. Elles sympathisent et commencent à cuisiner pour elles. «Le fait de pouvoir cuisiner m’a énormément transformée, cela a changé mon regard sur la vie, sur l’endroit où je vivais, sur moi »,explique-t-elle.
Un jour, elle entend parler de « restaurant clandestin » : des particuliers payent pour venir diner au domicile de chefs. Asma décide d’essayer, encouragée par ses amis qui vantent le goût de sa cuisine. Très vite, le nombre de convives augmente; elle est débordée. Elle demande alors à ses amies d’Asie de venir l’aider. Elles ne savent pas cuisiner; elle va leur apprendre. Sa cuisine fait des adeptes, elle organise de grandes soirées, des banquets. Asma a trouvé sa vocation. Malheureusement, ses enfants vivent mal cette activité, ayant en permanence du monde chez eux, du bruit. Sa famille lui demande d’arrêter. La pression mais aussi son amour pour ses enfants la convainc de ne plus recevoir chez elle même si cette décision la rend triste.
Une amie lui propose, pour rebondir, d’avoir un restaurant éphémère dans le pub de son mari. Asma accepte le défi, trop heureuse de pouvoir recommencer à cuisiner. Les débuts sont chaotiques. En cuisine, elle s’est entourée de cuisinières amateurs, ses amies. Elles vont se former sur le tas. Et quand un plat n’est plus disponible, que les clients attendent trop longtemps, Asma vient en salle, elle parle aux gens, raconte l’histoire de chaque plat, elle transmet sa culture. Elle ouvre ensuite son propre restaurant, près de Carnaby Street à Londres : le Darjeeling express. Une adresse que j’espère bien essayer la prochaine fois que je serai de passage à Londres.
Se rendre au Darjeeling Express: 2nd Floor, 6-8 Kingly St, Carnaby, London W1B 5PW
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