Journaliste engagée, animatrice de l’émission « Pas son genre », Giulia Foïs publie Je suis une sur deux, un livre-témoignage dans lequel elle raconte le viol qu’elle a subi à l’âge de 20 ans, le traumatisme, le dépôt de plainte, le procès, l’acquittement et la lente reconstruction. Un récit cash et bouleversant.
« J’ai eu de la chance. J’ai eu le bon viol. »
24 juillet 1997. Giulia Foïs est hôtesse d’accueil au Festival d’Avignon. Alors qu’elle rentre chez elle, un inconnu lui demande de lui rendre un service et de le déposer quelque part. Gulia ouvre la portière et tombe dans un piège. Débute alors l’horreur, le viol dans un champ, sous la menace d’une arme blanche. Cette nuit-là, tout bascule. Elle a vingt ans.
Pourtant, elle a eu de la chance, nous dit-elle. « J’ai eu le bon viol ». C’est-à-dire raccord avec l’idée que l’on s’en fait : le viol, ça se produit la nuit, dans un parking, avec un inconnu menaçant parfois sa victime d’une arme. Ce type de viol est aussi plus facilement plaidable. Gulia Foïs revient d’ailleurs sur la plainte, l’enquête et les trois ans de procédure, trois au cours desquels elle va poursuivre sa vie d’étudiante, sans rien dire et montrer. Trois ans à jouer « poker face », comme si de rien n’était. « Le viol, c’est ça : un cri dedans, le silence dehors », écrit-elle.
Le violeur de Giulia Foïs a été retrouvé grâce un portrait-robot extrêmement précis. Il y a eu un procès. Il y a eu l’acquittement aussi. « Niée deux fois, humiliée deux fois, piétinée deux fois ».
Le viol, le seul crime où les victimes se sentent coupables
Giulia Foïs raconte aussi le regard des autres, les réflexions déplacées et toujours cette ritournelle « Mais tu l’as un peu cherché, non ? ». Quand le lendemain du viol, elle trouve le courage de retourner travailler, son boss arrive avec un bouquet de fleur – attention louable – mais lui dit droit dans les yeux « remarquez moi aussi, si j’avais eu vingt ans de moins, j’aurais bien tenté de vous séduire ». Il sait pourtant : le cutter, les coups, le commissariat. Et ce ne sera pas le seul. Une copine de lycée lui balancera quelques semaines plus tard au téléphone « C’est ça d’être trop jolie ». Comme si la victime de viol était un peu responsable de ce qui lui était arrivé.
Alors on comprend vite que les victimes de viol finissent très vite par se taire. A quoi bon ? Comme l’explique Giulia Foïs, le viol reste le seul crime où les victimes se sentent coupables et où les coupables sont convaincus d’être innocents. Ce qui l’a sauvée, elle, c’est qu’elle a été entendue et crue. Par Richard, le premier qu’elle croise juste après, ses parents, ses proches… « Et si les tout premiers à qui je l’ai dit ne m’avaient pas instantanément crue, je me serais définitivement tue ».
« On a toutes cédé parce que c’était ça ou crever ».
Alors qu’elle pige pour Marianne, sa rédactrice en chef lui propose une longue enquête sur un état des lieux du viol en France. Elle qui avait fui à l’époque le Collectif féministe contre le viol y retourne, presque dix ans après. Elle recueille les témoignages, rencontre des médecins.
Le docteur Muriel Salmmona, psychiatre, spécialiste des violences sexuelles, explique l’impact physique et psychique d’un viol : « Le viol, c’est l’équivalent d’un meurtre : le violeur veut vous détruire et vous le ressentez à 100 %. La terreur et la violence sont telles qu’elles vous sidèrent. Le cortex ne parvient plus à moduler l’émotion. Vous n’avez plus le code de l’alarme. Pour ne pas disjoncter et mourir de stress, vous coupez le courant. Vous vous déconnectez : paralysie psychique et physique, anesthésie émotionnelle. L’esprit se dissocie du corps comme si vous étiez spectateur de l’événement. Ce faisant, vous stockez toutes ces émotions à l’état brut dans l’amygdale : c’est de la mémoire traumatique. Elle fonctionne comme une bombe à retardement. Un geste, une odeur, le moindre détail susceptible de faire le lien, même inconscient avec le viol, et elle vous saute à la figure : vous revivez l’événement à l’identique, avec la même intensité. La vie entière devient un terrain miné. »
Lors de son enquête, Julia Foïs raconte que celles qui ont plongé – dépression, scarification, suicide – sont celles qui n’ont pas été entendues, qui n’ont pas été crues. Elles étaient suspectes, voire coupables, aux yeux de ceux qu’elles aimaient. C’est en cela que Julia Foïs nous dit qu’elle a eu « le bon viol ». Parce qu’elle a pu le détester, le haïr, porter plainte sans le risque de porter atteinte à son nom de famille. Neuf fois sur dix, les victimes connaissent celui qui les viole.
Et il y a la rencontre avec Maître Katz qui a ces mots salvateurs : « Le consentement ne vaut que s’il est libre et éclairé. Céder n’est pas consentir ». Car, comme le souligne Gulia Foïs, « on a toutes cédé parce que c’était ça ou crever ».
Toutes les sept minutes, en France, une femme est violée
Pourquoi ? Une question qui revient en boucle. « C’était tombé sur moi, pas parce que c’était moi. Je n’y étais pour rien », confie aujourd’hui Giulia Foïs. « Ca m’était arrivé, parce que ça arrivait ». Chaque année, 94 000 femmes sont violées ; 7800 par mois ; 261 par jour. Ca arrive exactement toutes les sept minutes en France. Oui, toutes les sept minutes en France, une femme est violée.
Une femme sur deux, en France, subira au moins une forme de violence sexuelle au cours de sa vie : harcèlement, agression, attouchements, exhibitionnisme. Aujourd’hui, encore, moins de 2 % des viols débouchent sur une condamnation. Ecrit autrement : 98 fois sur 100, les violeurs s’en sortent libres. « Le viol est un meurtre sans cadavre. »
#Balancetonporc
Journaliste engagée, Giulia Foïs a été l’une des premières personnalités médiatiques à participer au mouvement #Balancetonporc sur Twitter en octobre 2017. A la suite des nombreuses réactions, souvent violentes, elle va écrire une chronique sous forme de lettre ouverte à twitter ; on la retrouve dans son livre. « Tu les entends, toi aussi, dire partout que la parole se libère ? Et tu rigoles, hein ? Moi, non. Moi, j’ai un peu envie de pleurer. Parce que la parole, elle s’est souvent libérée. C’est juste qu’on ne l’a pas entendue. Alors, dis-mois Twitter, que tu n’es si sourd que ça.»
Je suis une sur deux est un récit puissant, un récit nécessaire. Giulia Foïs adresse aussi un message d’espoir à toutes celles qui ont été victimes de viol. Parce qu’« un jour, tu sortiras de chez toi et tu n’y penseras même pas. Ca paraît irréel, mais c’est comme ça. Tu n’oublieras pas, certainement pas. Mais tu pourras vivre avec ça et ce sera ta plus belle victoire sur lui, sur ça. »
A voir : le documentaire « Elle l’a bien cherché » de Laetitia Ohnona sur Arte.