Rosie la Riveteuse, histoire d’une icône

Comment une affiche diffusée pendant la guerre, représentant une ouvrière anonyme, a-t-elle pu devenir un symbole mondial de l’émancipation féminine ?

1941. Les Etats-Unis entrent en guerre aux côtés de l’Angleterre et de la Russie. Le gouvernement américain doit planifier son économie de guerre : il faut fabriquer rapidement et en grande quantité des armes, des navires, des avions. Mais les usines fonctionnent au ralenti depuis que les hommes ont été enrôlés dans l’armée. Comment inciter alors les femmes à prendre la relève ? Le bureau d’information de guerre décide de lancer une campagne de « publicité » destinée à convaincre les femmes de soutenir l’effort de guerre. Pour l’incarner : Rosie la Riveteuse, un personnage créé de toutes pièces, neutre de toutes références et de repères.

Une première apparition en chanson

C’est d’abord en musique que Rosie fait son apparition en 1942. « Elle est dans la chaîne de montage/Elle entre dans l’histoire/Travaille pour la victoire/Rosie la Riveteuse », chantent en chœur les Four Vagabonds.

Mais quelques notes ne suffisent pas à inciter les femmes à se rendre à l’usine. Il va falloir casser les représentations pour que celles-ci acceptent d’endosser des rôles jusqu’alors considérés comme masculins. L’image va être un formidable moyen pour y parvenir, miroir dans lequel la spectatrice peut se projeter.

Rosie la Riveteuse, symbole de l’effort de guerre américain

C’est une peinture qui va véritablement lancer la carrière de Rosie la Riveteuse. Le 29 mai 1943, le tableau de Norman Rockwell fait la Une du Saturday Evening Post. On y découvre celle qui va incarner 6 millions d’Américaines qui vont prendre le chemin des usines d’armement pendant la Seconde Guerre mondiale.

En bleu de chauffe, manches retroussées sur des bras très musclés, des lunettes de protection qui ne quittent pas son front et un pistolet à riveter posé sur ses genoux, Rosie a tous les attributs d’une ouvrière. Son pied écrase Mein Kampf, symbolisant le désaccord des Etats-Unis avec l’Allemagne nazie. Le sandwich dans la main gauche indique qu’elle est probablement en train de prendre sa pause déjeuner, attribuant ainsi une dimension humaine à l’usine.

Les traits masculins qui se dégagent de Rosie ont souvent été attribués au souvenir du tableau de Michel-Ange, Le Prophète Isaïe. Mais la Rosie de Norman Rockwell a ceci de particulier qu’elle va au-delà : Rosie ne prend pas la place de l’homme, elle est à la fois la femme et l’homme de la maison.

D’ailleurs, lorsqu’elles ne travaillent pas dans les usines, les femmes sont encouragées à poursuivre l’effort de guerre dans leur foyer. Une grande partie de la production alimentaire étant réquisitionnée pour l’armée, les foyers américains voient leur alimentation rationnée. Les femmes doivent trouver des moyens de varier l’alimentation malgré les pénuries : Eleanor Roosevelt montre l’exemple en plantant un potager à la Maison Blanche, où elle produit ses propres fruits et légumes.

Derrière la peinture de Norman Rockwell, il y avait une femme : Mary Doyle Keefe, opératrice téléphonique et non pas ouvrière comme nous aurions pu l’imaginer. Elle servit de modèle au personnage de Rosie la Riveteuse qui devint une icône.

L’autre version de Rosie la Riveteuse : We can do it!

La représentation la plus connue aujourd’hui de Rosie est celle de J. Howard Miller. En 1942, J. Howard Miller, dessinateur, est embauché par le Comité de coordination de production de guerre de la société Westinghouse. L’objectif, cette fois-ci : créer une série d’affiches destinées à promouvoir l’effort de guerre. Parmi elles, la célèbre « We can do it !».

Pour créer cette affiche, il s’inspire d’une photo de United Press International (UPI) immortalisant une authentique ouvrière d’une chaîne de production du Michigan : Géraldine Doyle. Résultat : sur fond jaune, une femme, bandeau rouge à pois blancs noué sur la tête, manche relevée, qui clame dans une bulle : « We can do it ! » (« On peut le faire ! »). Affichée uniquement dans les usines de Pennsylvanie et du Midwest et ce pendant seulement deux semaines, en février 1943, cette affiche n’a pas remporté un vif succès.

Ce n’est que dans les années 1970-1980 que l’affiche de J. Howard Miller est à son tour baptisée « Rosie la Riveteuse« . Avec un message écrit direct et incitatif et un graphisme plus épuré que la peinture de Norman Rockwell, cette affiche est devenue le symbole de l’émancipation féminine.

Une icône pop

Depuis, associations féministes, personnalités… ont mis à l’honneur Rosie. La chanteuse Beyoncé a publié en 2014 une photo-remake de l’œuvre de Miller sur son compte Instagram. Les chanteuses Pink et Christina Aguilera ont également rendu hommage à Rosie dans leurs clips respectifs Raise Your Glass et Candyman. 

« La Rosie d’aujourd’hui transcende son histoire et le canon de l’imagerie de guerre », explique Shreyas R. Khrishnan. « Elle s’inscrit dans celle de l’empowerment, de l’émancipation. Rosie, c’est un appel à l’action, un avatar de la réussite en dépit des probabilités, une nouvelle aspiration. »

L’affiche, qui demeure très populaire, est l’une des dix images les plus demandées à la National Archives and Records Administration.

A lire :

Shreyas R. Khrishnan, Devenir Rosie. Rosie la Riveteuse et la performativité du genre, Editions Cambourakis, 2017.

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