Chère Ruth, chère RBG,
Tu étais devenue une icône. Tu as été avant tout une pionnière. Ton combat fut celui de la lutte contre les discriminations de genre, celles « qui ne placent pas la femme sur un piédestal mais dans une cage ». Tu as changé la vie des Américaines ; elles te doivent tant.
Tu es une des leurs. Tant de fois, tu as trouvé porte close. Et pourtant, tu n’as jamais renoncé. Travailleuse acharnée et déterminée, tu en as enfoncé des portes. D’abord à l’université, quand tu intègres, à l’âge de 23 ans, Harvard pour étudier le droit. Nous sommes en 1956. Tu fais partie de ces neuf femmes qui pénètrent pour la première fois dans cet antre réservé aux hommes. Le doyen ira jusqu’à te demander de te justifier d’occuper un siège qui pourrait être celui d’un homme. A croire que tu lui fais peur !
Ton droit, tu le termines à Columbia d’où tu sors major. Ton diplôme devrait t’ouvrir les portes des grands cabinets d’avocats. Il n’en est rien ! Toutes restent fermées. Comment l’expliquer ? Selon toi, tu avais alors trois fardeaux : premièrement tu étais juive, deuxièmement tu étais une femme, mais le pire c’était que tu étais la mère d’une enfant de quatre ans.
En 1963, tu trouves enfin une place de professeur de droit à l’Université Rutgers. Tu as 30 ans. Tu découvres alors que tu es moins bien payée que tes collègues masculins. Enceinte, tu dois même cacher ta grossesse sous les vêtements amples de ta belle-mère afin d’être certaine que l’université renouvelle ton contrat d’enseignante. Franchement ça commence à faire fait beaucoup ! Mais cela te donne une idée aussi : dispenser un cours sur le genre dans la loi.
Tu commences également à t’occuper en tant qu’avocate de cas qui vont faire jurisprudence en matière de lutte contre les discriminations sexistes. Qui mieux que toi en effet peut défendre les droits des femmes. L’inégalité entre les sexes, malheureusement, tu connais.
Au début des années 1970, on ne parle pas encore du plafond de verre, les femmes vivent à « l’ère des portes closes », comme tu le dis si bien. Elles ne parviennent pas à accéder à certaines professions ; elles ont l’interdiction d’intégrer certaines écoles. Il y a tant de choses que les femmes ne sont pas autorisées à faire !
Entre 1972 et 1978, tu plaides dans six affaires de discrimination basée sur le sexe et en remportes cinq devant la Cour suprême des États-Unis. Pour ta première victoire, Reed contre Reed, tu rédiges un dossier de 88 pages qui recense toutes les lois américaines renforçant alors l’oppression des femmes dans la société. Il est depuis connu par les experts du droit comme le grandmother brief, dans lequel ont puisé des générations d’avocates féministes.
Ta stratégie : convaincre la Cour suprême que le 14e amendement de la Constitution, qui garantit l’égale protection de tous, ne s’applique pas seulement à la discrimination raciale, mais également aux discriminations de genre. En en venant à déclarer le sexe comme étant un critère douteux, tu soutiens une position établie en 1837 par Sarah Grimbé, abolitionniste célèbre, militante pour l’égalité des droits; elle dit : « Je ne réclame aucune faveur pour mon sexe. Tout ce que je demande à vos frères c’est qu’ils veulent bien retirer leurs pieds de nos nuques. »
En 1973, la Cour suprême légalise l’avortement. Tu soutiens, évidemment ! « Il est essentiel pour l’égalité hommes-femmes que le choix revienne à ces dernières. C’est un élément primordial dans sa vie, de sa dignité. Et quand le gouvernement prend la décision à sa place, elle n’est pas traitée en adulte, c’est un être humain responsable de ses propres choix », diras-tu à ce sujet lors de ton discours d’entrée à la Cour suprême 20 ans plus tard.
A cette époque, les juges devant lesquels tu es appelée à plaider considèrent que les discriminations sexistes n’existent pas. Tu les invites alors à penser au monde qu’ils veulent laisser à leurs filles et à leurs petites filles.
En 1980, tu es nommée à la Cour de Columbia. En 1993, tu deviens la deuxième femme de l’histoire à siéger à la Cour suprême des États-Unis. Choisie par le Président Bill Clinton, celui-ci raconte que quinze minutes d’échanges auront suffi pour te choisir. Et pour ta première affaire, c’est au VMI, université militaire vieille de 150 ans et réservée aux hommes, que tu dois faire face. Une étudiante souhaite intégrer le VMI ; tu vas devoir défendre l’égalité d’accès à l’éducation. En 1997, l’académie militaire accepte enfin les femmes. Tu y feras un discours 20 ans plus tard, précisant qu’il « faut traiter les deux genres de manière égale ».
Quant à la robe, celle-ci « est pensée pour des hommes », expliques-tu ! Tu y ajoutes des accessoires, collectionnes les cols pour agrémenter ta toge noire. Ces cols deviennent même des indices de ta position au sein de la Cour suprême. Les initiés savaient, en effet, au moment de l’ouverture de la session par l’huissier, qu’en fonction du col que tu avais choisi, tu partageais ou non le vote majoritaire qui allait être prononcé.
Ces dernières années, tu étais passée dans le camp des progressistes. « I dissent » affirmais-tu souvent. Une position qui a fait de toi une icône pour les jeunes dans l’Amérique de Trump. Tu avais ton sosie dans le show télévisé Saturday Night Live. On pouvait voir ton visage ornant mugs, T-shirts… Quant à ton surnom notorious RBG, tu le dois à une étudiante, en référence au célèbre rappeur Notorious BIG. Nous sommes en 2013. Tu viens alors de t’indigner de la suppression d’une partie du Voting Rights Act, une loi qui assure le scrutin des minorités ethniques. Et à cette occasion, les jeunes femmes du pays t’ont écrit un slogan sur mesure : Can’t spell truth without Ruth (On ne peut pas dire la vérité sans Ruth).
Une chose est sûre : tu avais un amour dévorant pour le droit. Et pour ta ligne de conduite, deux recommandations faites par ta mère, cette femme qui t’a encouragée à étudier, celle qui est partie trop tôt, atteinte d’un cancer. Ces recommandations, tu les as toujours suivies à la lettre :
- « Sois une lady (…) Ne te laisse pas emporter par des émotions inutiles comme la colère. »
- « Sois indépendante (…) Si tu rencontres le prince charmant et que tu es heureuse tant mieux, mais sois capable de te débrouiller. »
Tu es partie le jour de Ros Hashanah, le jour de la nouvelle année juive. Avant de partir, tu as fait un vœu, celui de de ne pas être remplacée tant qu’un nouveau président n’aurait pas prêté serment. Ta dernière volonté ne sera pas respectée. Le président américain Donald Trump a choisi la juge Amy Coney Barrett, fervente catholique réputée pour des ses positions conservatrices. Le lundi 26 octobre, le Sénat a confirmé l’entrée de la magistrate au sein de la Cour suprême, faisant définitivement basculée la plus haute instance judiciaire du pays vers un conservatisme dur.
Cette nouvelle ne doit pas nous décourager ! Nous devons continuer…