Le nouveau monde de Charlote Perriand

A l’occasion du vingtième anniversaire de sa disparition, la Fondation Louis Vuitton rend hommage à Charlotte Perriand (1903-1999), l’une des personnalités phares du monde du design du 20e siècle. L’exposition qui mêle art, architecture et design, présente une créatrice visionnaire qui contribua à définir un nouvel art de vivre. Femme libre, engagée et humaniste, Charlotte Perriand fut une pionnière de la modernité.

L’art d’habiter

Charlotte Perriand n’a eu de cesse d’appréhender le vide, « le vide, tout-puissant par ce qu’il peut tout contenir ». Cette prise de conscience remonte à l’enfance. Opérée de l’appendicite à l’âge de dix ans, elle séjourne alors à l’hôpital des enfants malades, à Paris. « Lorsque je suis entrée à la maison, il y avait trop de jouets, trop de meubles, trop de choses… », raconte-t-elle dans le documentaire Charlotte Perriand, pionnière de l’art de vivre.

Dès ses débuts, Charlotte Perriand cherche à faire respirer les intérieurs. Son Bar sous le toit qu’elle présente au Salon d’automne de novembre 1927 lui ouvre les portes de l’atelier du Corbusier, rue de Sèvres. Elle a alors 24 ans. Chez Le Corbusier, elle travaille sur des demeures modernistes et esquisse quelques meubles qui deviendront emblématiques tels que la Chaise longue basculante.

Dans les années 1930, elle approfondit le concept de « logement minimum ». L’objectif est de définir un lieu de vie « moderne » et une nouvelle manière d’habiter avec la contrainte d’un espace minimum. Chacun de ses projets – Maison de Week-end, Tonneau… – illustre sa volonté de concentrer au maximum l’espace, le rendre le plus fonctionnel et le plus modulable possible.

Son pragmatisme et sa recherche de l’optimisation des espaces lui serviront pour équiper les habitations de la Cité radieuse de Marseille, les chambres d’étudiants de la Cité universitaire de Paris encore les appartements des stations de ski des Arcs.

En 1940, Charlotte Perriand est nommée conseillère pour l’art industriel par le gouvernement japonais. Elle découvre un autre monde, une autre culture, un autre rapport au temps et à la nature. « Eux, c’est la philosophie du vide, nous c’est l’indigence ! » Ce voyage aura une grande influence ensuite sur ses œuvres.

De retour en France en 1946, après la guerre, elle continue de créer. Des projets phares suivent, notamment avec Air France (1957-1963) et le Musée national d’art moderne de Paris (1963-1965). Des années 1960 jusqu’au début des années 1980, Charlotte Perriand accompagne également la démocratisation des sports d’hiver en France en travaillant sur de nombreuses réalisations en Savoie. Le projet phare : la station des Arcs. Durant deux décennies, elle va œuvrer à la construction des trois stations : Arc 1600, Arc 1800 et Arc 2000… soit 30 000 lits. A l’intérieur, un espace fonctionnel avec soin extrême apporté au rangement, cabine de bain et bloc-cuisine novateurs ; à l’extérieur, vastes balcons baignés de lumières et toitures en pente douce se fondant dans le paysage.

Une femme libre et engagée

Charlotte Perriand a toujours été une femme audacieuse, qui vivait avec son temps. Dans les années vingt, elle porte la coupe à la garçonne et, à son cou, un collier qu’elle a fabriqué elle-même, « constitué de vulgaires boules de cuivre chromé ». « Je l’appelais mon roulement à billes, un symbole et une provocation qui marquaient mon appartenance à l’époque mécanique du XXe siècle ».

A l’âge de 23 ans, elle se marie en manteau de velours rouge : « Je n’avais pas voulu d’un mariage en dentelles, je ne voulais pas ressembler à l’image du veau gras qu’on mène à l’abattoir. » Lorsqu’elle frappe à la porte du Corbusier, celui-ci la reçoit avec dédain : « Ici, Madame, on ne brode pas des coussins ». Charlotte Perriand trouve le courage, avant de s’en aller, de signaler à Corbu son exposition au Salon d’automne et de lui laisser son adresse ! Il va voir ; il l’engage sur le champ. Suivent dix années de collaboration à ses côtés et aux côtés de Pierre Jeanneret, cousin et collaborateur de Le Corbusier, longtemps amoureux transi et un temps amant de Charlotte.

Elle divorce six ans après, en 1932. Lorsque Le Corbusier l’apprend, il lui demande avec son tact légendaire : « Vous préférez les femmes, peut-être ? ». Comme si il était alors impensable pour une jeune femme de vivre de manière libre et indépendante, sans hommes.

Charlotte Perriand s’installe alors à à Montparnasse, dans un ancien atelier de photographe, au septième et dernier étage sans ascenseur. Elle s’aménage un lit sous la verrière : « Les jours de mauvais temps, je m’endormais paisiblement bercée par la pluie qui ruisselait sur mes vitres. J’étais brutalement réveillée par le tonnerre et les éclairs, par le déchaînement de la nature, les yeux grands ouverts, enivrée sous la lune, seule sous les étoiles. »

Féministe, Charlotte Perriand l’est aussi dans son travail. Imaginer un idéal de rangement, c’est aussi sa façon de libérer les femmes. Elle imagine une cuisine ouverte qui permet à la femme de sortir de sa prison, de ne pas être isolée et mise à l’écart des conversations. Lorsqu’elle travaille sur des sièges, ceux-ci doivent s’adapter à la morphologie masculine et féminine.

Elle a su aussi s’imposer dans un monde d’homme, tout en militant par son art et son engagement politique pour les femmes. Pernette, sa fille, précise : « « Jamais elle ne s’est plainte de la difficulté d’être une femme dans un tel milieu. A ses yeux, être femme ne la limitait en rien. Et pourtant, il a toujours fallu qu’on la marie à un homme, c’est terrible. Aujourd’hui, il est temps de comprendre que Charlotte, c’est Charlotte. »

Charlotte Perriand fut une femme d’avant-garde, pour qui « rien n’est dissociable, ni le corps de l’esprit, ni l’homme du monde qui l’entoure, ni la terre du ciel ». A plus de 90 ans, Charlotte Perriand délivrait toujours le même message : « Il faut vivre pleinement dans son époque, sans nostalgie, en utilisant les matériaux et les techniques du temps présent, des lieux et des coutumes. C’est ce qui permet de créer le diversité, source de vie ».

Sources :

  • Charles Berberian, Charlotte Perriand, une architecte française au Japon (1940-1942), coédition Chêne-Arte, 2019.
  • Charlotte Perriand, pionnière de l’art de vivre, documentaire de Stéphane Ghez  et diffusé sur Arte.
  • Charlotte Perriand, Une vie de création, Odile Jacob, 1998.