Voix de Résistantes

Bien que le colonel Rol-Tanguy ait déclaré dès la Libération que « sans elles, la moitié de notre travail eut été impossible » (Yvonne Féron, « La libération de Paris », Hachette, 1945), les femmes entrées en résistance entre 1940 à 1944 ont longtemps été les grandes oubliées de la mémoire officielle, et plus encore de l’opinion. Car la guerre est une affaire d’hommes, affirme-t-on généralement. Mais comme les hommes, les femmes ont souvent payé le prix fort de leur engagement. Aussi, plus de soixante ans après la Libération de la France, alors que disparaissent progressivement les derniers témoins, est-il important de faire entendre leurs voix. 

Depuis le 12 octobre, Arte diffuse la série documentaire historique : « Les combattants de l’ombre ».  Construite autour des témoignages exceptionnels des derniers acteurs de l’époque, illustrée d’archives inédites et de scènes de reconstitution, cette série offre un nouveau regard sur la seconde guerre mondiale vue du côté de la Résistance et dans une dimension pour la première fois européenne. Et cette fois-ci, des femmes témoignent : Truus Menger-Oversteegen (Pays-Bas), Andrée Dumon (Belgique), Maria Chojecka-Stypulkowska (Pologne), etc.

Qui étaient ces femmes? Quel fut leur rôle dans la Résistance ? Comment vit-on après ? Peut-on oublier ? Est-ce qu’un jour la vie redevient « normale » ? Pourquoi devient-on résistante ? Pourquoi elles, et pas tout le monde ? Que voudraient-elles que l’on retienne de leur histoire, de l’Histoire ? Comment vit-on en compagnie de ceux qui n’ont rien fait, rien dit ? Autant de questions posées également par Marie Rameau dans son livre Des femmes en résistance, 1939-1945. La photographe nous offre trente portraits intimistes de femmes unies dans une même aventure, celle de la Résistance.

Née en 1968, Marie Rameau découvre la Résistance à quinze ans en la personne de Simone Le Port et apprend que la déportation a aussi touché des résistants. En 1983, elle prend conscience d’un pan de l’histoire de France que les transformations culturelles des années post-68 avaient relégué en arrière-plan. Vingt ans plus tard, le besoin de revoir cette ancienne résistante bretonne se fait sentir ; Marie Rameau souhaite la photographier. Et quand la mémoire de Simone se fait défaillante, l’évidence est telle pour Marie qu’elle se doit « de dire son histoire, raconter son choix, sa réaction face à l’insupportable ». Commence alors un voyage au pays des résistantes. Pendant cinq ans, l’auteure a rencontré ces femmes, en suivant les indications données par chacune d’entre elles et en leur faisant confiance.

Elles sont trente en tout photographiées mais aussi racontées. Certaines sont connues comme Germaine Tillion, Lucie Aubrac ou Cécile Rol-Tanguy. D’autres le sont un peu moins comme Annette Chalut, Gisèle Probst, Hélène Viannay … Venues de toutes les familles politiques et de tous les milieux sociaux, elles ont toutes rejoint la Résistance en y effectuant les mêmes tâches et en courant les même risques que les hommes. Entre elles, Marie Rameau déroule un fil, tisse une toile.

« Que dire 50 ans après l’horreur de ce spectacle, de notre impuissance face à ces bourreaux, de notre incapacité à soutenir le regard de leurs victimes …. » Ce sont de courtes histoires mais d’une grande intensité que nous livre Marie Rameau pour revenir sur leur passé de résistante, leur arrestation, leur déportation, leur « aujourd’hui ». Ecrits au présent, factuels et dépourvus d’artifices rhétoriques, les récits de ces femmes ne sont jamais dissociés des circonstances de la rencontre avec l’auteure. Le ton est juste, pudique ; il n’y a pas d’emphase, de langage convenu. Tel un album de souvenirs croisés, ce livre « suggère plus qu’il ne montre, évoque plus qu’il n’écrit ».

Le livre surprend aussi par la présence de portraits photographiques. Les visages sont sans artifices. Les portraits, en noir et blanc, défilent « comme des portraits d’amateurs des années 1950 ». Et bien que la liberté leur fût laissée de choisir la photo à publier dans un lot de trois, la réticence à paraître en image fut presque générale. « Vous savez, on n’avait pas cette tête-là… Il faudrait montrer notre visage à vingt ans en de plus de votre photographie, ce serait plus proche de la réalité. Les vieilles dames, ça ne fait plus de résistance … et ça ne pose plus pour des photos », souligne France Hamelin lors de sa rencontre avec Marie Rameau. Mais pour l’auteure, il s’agissait bien de les photographier aujourd’hui afin de respecter son objectif : partir « d’instantanés contemporains de destins inachevés pour remonter vers une époque révolue ».

Figuratives, les photographies donnent une vision intimiste de la Résistance en accord avec le témoignage de ces femmes. Quand l’auteure les interroge sur leurs actions  de résistantes, elles répondent spontanément :  « Vous savez, moi, ce que j’ai fait, c’était de la petite résistance » ; « Les autres doivent être bien plus intéressantes que moi, je n’ai pas fait grand-chose »; « Vous savez, ce n’était pas grand-chose …» Modestie, discrétion, certes. Mais en résistant, ces femmes ont transgressé non seulement les lois en vigueur mais aussi les lois tacites de que ce devait ‘‘être’’ une femme à cette époque. Ce  « Je n’ai rien fait » doit être entendu comme « Je suis un être humain à part entière et tout être humain digne de cette qualité se devait de résister ». Car, pour beaucoup, l’engagement était d’une telle évidence ! Et, au sortir de la guerre, nombreuses sont celles à ne pas avoir demandé de reconnaissance et à être rentrées chez elle.

Mélange « d’In Memoriam et de carnet de voyage », ce livre n’est pas un ouvrage de plus sur l’histoire des femmes dans la Résistance, mais un recueil qui parle d’histoire « à travers la mémoire d’actrices de celle-ci ». Parmi ces témoignages, certaines nous ont quitté depuis la sortie du livre : Marie-Claire Scamaroni, Lucie Aubrac, Hélène Viannay, France Hamelin, preuve que les témoins sont de plus en plus rares. Il y avait donc urgence à assurer la transmission de la mémoire. Ce qu’à fait brillamment Marie Rameau, faisant en sorte que le fil ne soit jamais rompu. Donner la parole à ces femmes est aussi un hommage à toutes celles qui payèrent leur engagement de leur vie, mortes en déportation ou exécutées. Car pour Françoise Robin, « ce sont les morts qui comptent, on ne leur rendra jamais assez hommage ». Ces visages ont en tout cas un sens. Ils exercent une sorte de fascination, durable une fois le livre refermé. Ces images d’aujourd’hui captivent le regard comme « le reflet vivant d’une aventure humaine du temps de jadis ».

En complément de la série d’Arte et de ce livre, je vous conseille l’émission proposée par Stéphanie Duncan sur France inter : « Les femmes dans la Résistance ».

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