Cette question, Frédérique Cintrat y a répondu il a plus de trente ans lors d’une émission de télévision consacrée à cette thématique, aux côtés d’Elisabeth Badinter et Françoise Giroud. Adolescente en classe préparatoire, elle voulait alors prouver aux autres, et à elle-même, que quand on veut on peut, quelque soit son origine sociale et culturelle. Un brin utopiste dit-elle aujourd’hui. Pourtant, cette conviction a été moteur, lui a donné l’envie et la force d’avancer, de faire des choix aussi, d’aspirer à une vie extraordinaire !
Après vingt-sept ans de salariat essentiellement dans l’univers de l’assurance, Frédérique Cintrat vient de créer son entreprise, Assurancielles. Cette femme de réseaux, élue femme commerciale lors des Trophées de la femmes dans l’assurance en 2013, a pris le temps de réfléchir à ce que signifiait pour elle l’ambition. Elle nous livre ses réflexions en la matière dans un livre, Comment l’ambition vient aux filles ?, nourries par son expérience depuis l’enfance jusqu’à aujourd’hui. Frédérique Cintrat donne également la parole à neuf femmes inspirantes qui expriment leurs visions de l’ambition. Interview.
Vous avez rencontré pour votre livre neuf femmes d’âge et de parcours différents. Qu’ont-elles en commun ?
Je voulais compléter ma propre « histoire d’ambition » par celles de neuf femmes en effet pour illustrer le fait que j’étais loin d’être la seule à être animée depuis le plus jeune âge par l’envie de réaliser des tas de choses, surtout pas réservées aux filles ou aux garçons. Leur premier point commun est de faire partie de mon entourage. Je les ai choisies parce que je les connaissais personnellement et que je trouvais qu’elles avaient toutes cette « niaque », cet envie de réaliser des choses sur le plan professionnel, de sortir des sentis battus, dans différents domaines. Chacune à sa façon nous montre que l’ambition est une aventure heureuse, que c’est le contraire de la routine. Elles sont toutes « passées à l’acte » autrement dit, non seulement elles ont imaginé de grandes choses, mais elles ont essayé de les réaliser parfois avec succès, parfois en devant emprunter des sentiers plus sinueux pour y arriver; elles ont eu envie de se dépasser, et elles ont tenté, voire retenté, et surtout elle se sont rarement dit que les choses étaient impossibles, quelles que soient les difficultés qu’elles aient pu rencontrées.
En quoi l’éducation reste-t-elle déterminante dans les choix d’études et de carrières des filles ?
Quand on parle d’éducation, on pense à celle dispensée par les parents, et bien sûr à celle de l’école. En tout premier lieu, c’est l’éveil, puis l’apprentissage de la « sociabilisation », avec les éventuelles normes parfois stéréotypées, ce sont les représentations de la femme, des femmes dans la sphère familiale, des femmes dans l’environnement proche, voire dans les médias qui vont d’abord jouer et influencer la perception de la petite fille pour ses premiers modèles.. Et ensuite bien sûr, l’apprentissage, les lectures, la scolarité vont leur permettre de découvrir, de s’ouvrir sur d’autres possibles, d’étancher leur soif de connaissances, d’exercer leur esprit critique et de gagner en liberté et en autonomie. Moi j’ai commencé à demander aux femmes que j’ai rencontrées à quoi elles jouaient quand elles étaient petites, puis elles m’ont parlé de leur scolarité. Certaines étaient bonnes élèves, d’autres moins. La prise de conscience de l’intérêt de « bien travailler à l’école » est apparu chez la plupart d’entre elles car c’était un moyen de parvenir à vivre plus facilement la vie qu’elle s’autorisait à rêver. Moi, même si je suis convaincue que l’apprentissage scolaire, l’éducation sont absolument nécessaires, je déconnecte le nombre d’années d’étude de l’ambition, de l’envie de se dépasser. Quant au choix des filières, il dépend souvent des connaissances et du milieu familial, de l’influence des médias, du lycée… c’est parfois aux professeurs de détecter les « pépites » lorsque le milieu familial est plus modeste ou moins exigeant et de les encourager à poursuivre dans la meilleure voie pour qu’elles puissent, plus tard, exercer leur talent.
Comment encourager les jeunes filles à avoir de l’ambition ?
Il faut déjà que l’on l’éduque la petite fille en petit enfant qu’on éveille sur le monde, en lui donnant tous les atouts pour qu’elle ait confiance en elle, en lui laissant bien sûr une liberté de mouvement, en développant sa curiosité, sa soif de conquérir le monde, en l’encourageant à s’exprimer, à exercer son sens de la réparti. Françoise Giroud fors de l’émission d’Aujourd’hui la vie qui avait pour thème « Comment l’ambition vient aux filles ? » à laquelle j’avais participé en 1983 soutenait que celle–ci émanait de la mère alors qu’Elisabeth Badinter défendait d’idée qu’elle venait du père, presque de l’autorisation qu’il lui donnait d’investir le monde extérieur.
Plus tard, ce seront les personnes rencontrées, les succès, les projets qu’elles auront pu nourrir qui permettront aux jeunes filles non seulement d’avoir, mais d’assumer et de réaliser cette ambition. Il faut les encourager et leur dire que c’est possible, et que c’est très positif d’avoir de l’ambition !
Quelle place donner aux rôles modèles, aux mentors ?
C’est très important de se dire « j’aimerais faire quelque chose comme elle, comme lui, j’aimerais exercer ce métier, car l’image qu’il me renvoie me plait », et c’est aussi bien de se dire si elle ou lui l’a fait pourquoi pas moi, c’est l’intérêt de ce que l’on appeler les rôles modèles, les personnes inspirantes. Les réseaux , quels qu’ils soient ont également cette vertu, d’ouvrir sur le champ des possibles à travers les différentes rencontres que l’on peut y faire. Les mentors peuvent être officieux ou officiels. Un mentor, c’est quelqu’un qui a donné le coup de pouce à un moment donné, un ou des conseils, un accompagnement et pas uniquement dans l’entreprise, et pas nécessairement quand on est très jeune, mais il y a surtout ceux ou celles qui ont croisé notre chemin qui ont répondu positivement à une sollicitation ou qui l’on devancé en nous donnant confiance et parfois en nous donnant quelques judicieux conseils au bon moment en laissant entendre que les choses étaient possibles.
Vous soulignez l’importance d’appartenir à des réseaux professionnels. En quoi peuvent-ils être un accélérateur de carrière ?
Moi, je défends surtout l’idée qu’il faut apprendre à fonctionner en réseau, à avoir le réflexe réseau, pour faire de la veille, pour gagner en efficacité, pour apprendre pour être informée d’opportunités d’affaires, ou de carrière, pour être connu(e) voire reconnu(e). Cela passe par le fait de garder le lien avec les personnes de son environnement privé, professionnel, les personnes de son secteur d’activité, car un réseau, ça se constitue et ça s’entretient, même si (et surtout) on n’est pas « fils de » ou « fille de » . Il faut savoir ce que l’on peut apporter à son réseau avant de chercher à tout prix à obtenir quelque chose de celui-ci.
Il faut se rendre dans des manifestations, il faut utiliser les réseaux sociaux professionnels. Il est vrai que les femmes n’ont pas toujours eu l’habitude de développer cette compétence du réseau dans la sphère professionnelle, sauf bien sûr les commerciales dont je fais partie, leur carnet d’adresses apparaissant alors comme le patrimoine. Cela semble pourtant indispensable quand on sait que 2/3 des postes de cadres ne font pas l’objet d’annonce….. Parfois les femmes hésitent à se rendre à évènements de peur de ne connaître personne et de ne pas s’y sentir très à l’aise, c’est pourquoi j’ai créé AXielles afin de leur permettre d’aller à une manifestation professionnelle avec d’autres femmes préalablement identifiées… Puis il y a également bien sûr les réseaux plus formels, sectoriels, d’engagement, d’entrepreneurs, les réseaux féminins… En fonction de ses objectifs, on peut choisir de s’inscrire à tel ou tel réseau, pour y rencontrer des pairs et partager des bonnes pratiques, pour développer son entreprise, pour rencontrer des décideurs, pour apporter sa contribution, pour prendre de l’énergie, pour y défendre des idées, et soi-même aider et développer ses compétences. J’ai animé d’ailleurs le 7 mars dernier un atelier sur le sujet vendredi à Deauville pour Normandes en Tête.
Qu’est-ce que cela signifie réussir pour vous ? Avez-vous eu le sentiment de devoir faire des compromis ?
Je ne me permettrais pas d’entrer dans un débat philosophique sur la réussite, réussir sa vie. C’est très personnel et je ne souhaite porter aucun jugement. Moi, je me reconnais dans le titre du livre de Nathalie Loiseau Choisissez tout. J’ai néanmoins fait quelques choix, bien sûr, parfois des compromis, rarement des sacrifices ( et la règle d’or est bien sûr, si on choisit de vivre en couple d’être clair très en amont sur la distribution des rôles, ceci pouvant avoir des conséquences sur les carrières et les compromis de l’un ou l’autre ou des deux…) . Mon ambition était certes d’avoir un bon job, de faire des choses intéressantes, de bien gagner ma vie, mais aussi d’avoir du pouvoir à la fois d’être et de faire ( j’assume préférer la lumière à l’ombre) , de fonder une famille, de travailler à la ville, de vivre à la campagne, et de faire des choses à côté ( figuration au cinéma, troupe de spectacle, enseignement..). J’ai d’ailleurs beaucoup de chance d’être entourée, par mon mari et mes parents notamment et suis très fière que mes deux fils de 19 et 21 ans soient de belles personnes bien dans leur peau et sur de bons rails. Lorsque j’avais 17 ans et que je témoignais dans l’émission « Aujourd’hui la vie » je disais, je veux faire un maximum de choses, quitte à échouer mais j’aurais au moins la satisfaction d’avoir essayé ». C’est ce que je me suis toujours efforcée de faire, c’est l’action qui m’anime… Aujourd’hui, je me lance un nouveau défi : celui de l’entrepreneuriat avec Assurancielles et Axielles. En d’autre terme, je pourrais reprendre cette citation : réussir ce n’est pas rêver sa vie, c’est vivre ses rêves.
Vous venez de créer une entreprise de conseil et accompagnement en développement Assurancielles et une start-up AXiElles. Quel a été le déclic pour vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
Depuis toujours, les personnes que j’admirais le plus, que ce soit dans la vie économique, dans l’art, c’était ceux qui à un moment donné avaient pris des risques. Comme je suis fondamentalement plus « opérationnelle » qu’ « intellectuelle », j’ai toujours admiré ceux et celles qui à partir de rien avait fondé des entreprises, en osant, en créant de la valeur et des emplois. Après avoir obtenu ces prix de femme commerciale de l’année et de femme de l’année dans l’assurance, et alors que je venais d’avoir 48, ans , je me suis dit que si je ne le faisais pas là, maintenant alors que j’étais un peu exposée et que j’avais un plutôt bon réseau , je ne le ferai jamais, et je ne voulais pas regretter plus tard de ne jamais avoir essayé. Ce n’est jamais le bon moment, surtout quand vous avez un bon job, un salaire confortable, une situation professionnelle stable et des besoins financiers importants liés notamment au financement des supérieures de vos enfants… …mais j’ai quand même décidé de sauter le pas, là maintenant….
Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui souhaitent entreprendre ?
Déjà, je ne pense pas que je donnerais des conseils différenciés à une femme ou à un homme : bien préparer son projet, choisir son statut, être enthousiaste, s’appuyer sur son réseau, se faire accompagner, passer beaucoup de temps dans son développement, bien identifier ses éléments différenciant, ajuster le tir en fonction des premiers éléments de marché. Et puis, c’est très difficile de donner des conseils, car je suis moi-même dans la phase où j’écoute ces conseils justement, et parfois j’en tiens compte, parfois non. J’aimerais moi aussi pouvoir voir grand, prendre des risques mais j’avoue que je suis encore un peu prudente de côté-là.., peut–être trop…
Avez-vous un credo qui vous anime chaque jour ?
Je pourrais reprendre la phrase que j’ai citée tout à l’heure il faut « vivre ses rêves plutôt que rêver sa vie » , et la citation de Sénèque « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ».